Johannes Brahms
« Visite de Brahms. Un génie ! », « Celui-là est un élu » : les réactions enthousiastes de Robert Schumann à l’issue de sa rencontre avec Brahms en septembre 1853 avaient tout pour mettre le jeune homme mal à l’aise, le désignant, presque à son corps défendant, comme le plus à même de tracer des « chemins nouveaux » pour toute une génération. A vingt ans à peine, le nouveau héros de la musique allemande n’a donc pas le droit de décevoir, et il détruit méthodiquement toutes les œuvres qu’il ne juge pas digne du niveau d’excellence auquel il s’astreint. Cette exigence, voire cette intransigeance seront la marque de la musique de Brahms tout au long de son parcours, notamment en musique de chambre, domaine dans lequel il se montre l’héritier le plus légitime des modèles classiques légués par Beethoven. Que ce soit dans les pages pour cordes seules (trois quatuors, deux quintettes d’une absolue perfection, deux sextuors aux contours symphoniques) ou accompagnées par le piano (trois sonates pour violon, deux sonates pour violoncelle, trois trios, trois quatuors, le grand quintette en fa mineur opus 34), sans oublier bien sûr les opus tardifs destinés à la clarinette de Richard Mühlfeld (deux sonates, un trio pour clarinette, violoncelle et piano, un quintette pour clarinette et quatuor à cordes), la musique de Brahms est toujours à la fois solidement charpentée et portée par des thèmes d’un lyrisme souverain, tour à tour tendres, mélancoliques ou passionnés. Alors, trop sérieuse la musique de Brahms ? Ce serait oublier que le « jeune aigle descendu des Alpes » vu par Schumann a fait ses armes dans les tavernes de Hambourg, avant de partir sur les routes en compagnie du violoniste Eduard Reményi, spécialiste de la musique tzigane (période dont les fameuses Danses hongroises porteront plus tard la trace), et de s’installer en 1862 à Vienne, capitale de la musique et d’un Empire autrichien qui ne se grise au son des valses de la famille Strauss que pour mieux oublier un déclin déjà largement entamé. Brahms y vivra sereinement jusqu’à la fin de ses jours, en n’oubliant pas bien sûr de mentionner de triomphales tournées à l’étranger et de régulières escapades estivales propices à la composition dans des villes d’eaux allemandes.