Charles-Valentin Alkan
Un drôle d’oiseau, indubitablement. Personnalité complexe, pianiste virtuose adulé mais le plus souvent retiré des estrades, aussi à l’aise dans des pages tentaculaires et touffues que dans la miniature impressionniste, spécialiste du Talmud et traducteur de la Bible dans le texte, mort écrasé sous sa bibliothèque selon la légende, Alkan est un cabinet de curiosités à lui tout seul. Deuxième enfant d’Alkan Morhange, un musicien modeste venu d’une communauté juive de l’Est de la France dont le fils n’allait pas tarder à reprendre le prénom pour patronyme, le jeune Charles-Valentin fait rapidement parler de lui par ses dons musicaux étonnants qui lui valent d’entrer au conservatoire de Paris dès l’âge de six ans. Il y étudie notamment le piano auprès de Joseph Zimmermann, qui le prend rapidement sous son aile et l’introduit dans les salons parisiens. Il fréquente alors le tout Paris romantique, et se lie avec Liszt, Hugo, Sand ou Chopin, fraîchement arrivé dans la capitale. Premier revirement à la fin des années 1830 : malgré ses succès, Alkan renonce pour un temps au concert, et préfère partager son temps entre l’enseignement et la composition. Son retour en 1844 n’en est que plus triomphal, bientôt suivi par la publication de cahiers pianistiques d’envergure (la Grande Sonate Les Quatre Ages op. 33, Les douze études dans tous les tons majeurs op. 35, les 25 Préludes op. 31…). En 1848, frustré de voir le poste de son cher maître Joseph Zimmermann lui échapper au profit du médiocre Marmontel au conservatoire, Alkan se retire une nouvelle fois du monde. La mort de son ami Chopin l’année suivante semble le conforter dans sa décision, Alkan héritant alors des meilleurs élèves du maître et d’une méthode de piano laissée inachevée. On ne sait que peu de choses sur les vingt-cinq années suivantes de la vie Alkan, si ce n’est que le compositeur travaille notamment, d’après la correspondance entretenue avec son ami Ferdinand Hiller, à une traduction de la Bible. Outre son nouvel intérêt pour le piano à pédalier, Alkan publie également de nouvelles pages marquantes pour le piano, comme la Sonatine op. 61, les Esquisses op. 63 et surtout les Douze études dans tous les tons mineurs op. 39 (plus de deux heures de musique, dont un monumental Concerto pour piano solo !). En 1873, Alkan sort enfin de sa retraite pour une série de six Petits concerts dans les salons Erard : tout le répertoire pour piano y a sa place, et le rendez-vous deviendra rapidement régulier jusqu’à la disparition du musicien en 1888. Plusieurs hypothèses au sujet de cette dernière : au choix, le compositeur aurait été écrasé par sa bibliothèque en y cherchant un volume du Talmud ou, plus vraisemblablement, Alkan aurait été victime d’un accident domestique causé par une vilaine glissade suivie d’un mauvais rattrapage sur un porte-parapluie.