Ernö Dohnányi
Resté dans l’ombre de Bartók et Kodaly, Ernö Dohnanyi n’occupe pas encore la place qui devrait être la sienne dans l’histoire de la musique hongroise au vingtième siècle. La faute peut-être aux accusations de collaboration proférées contre lui à la fin de la Seconde Guerre mondiale, alors qu’il avait supporté toute cette période en restant à Budapest et en protégeant certains juifs de l’orchestre qu’il dirigeait. Quoi qu’il en soit, les multiples talents du jeune Dohnanyi s’expriment dès ses années de formation à l’académie Franz Liszt de Budapest, où il a notamment pour condisciple un certain Béla Bartók. Il étudie ainsi la composition avec Hans von Koessler et le piano avec Stephan Thoman. Admirateur de Brahms en ces premières années, il compose à dix-huit ans un Quintette avec piano opus 1 sur le modèle de son aîné, qui l’invite d’ailleurs à jouer l’œuvre à Vienne. Perfectionnant sa technique pianistique auprès d’Eugène d’Albert, il parvient à mener de front, comme Liszt ou Rachmaninov, une double carrière de compositeur et de pianiste virtuose, et rajoute bien vite d’autres cordes à son arc avec la direction d’orchestre et une forte activité pédagogique. Défendant la musique de ses contemporains, il voyage ainsi au Royaume-Uni ou aux Etats-Unis, et enseigne entre 1905 et 1915 à la Hochschule de Berlin à l’invitation de Joseph Joachim. Dans ses années qui précèdent le premier conflit mondial, c’est d’abord vers la musique de chambre de Dohnanyi concentre ses forces : deux quatuors à cordes, une sonate pour violoncelle et piano, une sonate pour violon et piano, un autre quintette avec piano, et surtout la superbe Sérénade opus 10 pour trio à cordes, sans doute la plus belle œuvre écrite pour cette formation depuis le Divertimento « Puchberg » de Mozart. Il compose aussi durant cette période une charmante page concertante qui a réussi tant bien que mal à se maintenir, en l’occurrence les Variations sur une chanson enfantine pour piano et orchestre opus 25, variations qui reprennent le thème d’Ah ! vous dirai-je maman cher à Mozart. Après la guerre, Dohnanyi est de retour en Hongrie, où il va à la fois enseigner à l’académie de musique de Budapest et devenir directeur musical de l’orchestre philharmonique de la ville. Le rythme de sa production diminue, même si son Quatuor à cordes n°3 ou son Sextuor opus 37 méritent d’être redécouverts, tout comme son Ruralia Hungarica (pour piano ou pour orchestre), inspiré par des chants populaires hongrois. La perte de ses deux fils et le traitement qui lui est réservé par les nouvelles autorités communistes laissent Dohnanyi meurtri à l’issue de la guerre. Il choisit l’exil et finit par se fixer aux Etats-Unis, où il enseigne à l’université de Floride et se nourrit du jazz ou de la musique folklorique américaine, comme dans son American Rhapsody opus 47. Il meurt en 1960 à l’âge de quatre-vingt deux ans.