5 août 2022
Les interprètes : David Petrlik, David Moreau, Paul Zientara, Lise Berthaud, Maxime Quennesson, Stéphanie Huang
JOHANNES BRAHMS
Sextuor à cordes n° 2 op. 36
« Ici, je me suis délivré de mon dernier amour. » Cette phrase énigmatique de Johannes Brahms se rapporte au Sextuor à cordes op. 36, conçu essentiellement pendant un été 1864 passé dans le cadre verdoyant et tranquille de Baden-Baden. L’amour en question se nomme Agathe von Siebold, jeune soprano que le compositeur avait rencontrée à Göttingen six ans plus tôt, lors de l’été 1858. Le coup de foudre fut apparemment si intense que des serments furent secrètement échangés… Brahms finit toutefois par quitter brusquement Göttingen et sa jeune promise, mettant un terme à leur idylle. Celle-ci marqua cependant suffisamment le compositeur pour qu’il y fasse allusion, six ans plus tard, dans la partition qui nous intéresse.
C’est ainsi que l’Allegro non troppo qui ouvre le Sextuor op. 36 comporte, à la fin d’un thème aux allures de valse, une affirmation obsessionnelle de cinq notes, la-sol-la-si-mi, qui dans la notation allemande dictent le prénom de la femme autrefois aimée (A-G-A-H-E). Ce cri du cœur retentit au milieu d’un mouvement étonnant, foisonnant, qui pourrait passer pour joyeusement pastoral s’il n’y avait pas ce bourdonnement inquiétant qui introduit la partition et revient régulièrement ponctuer le discours. Le scherzo qui suit prend des allures de danse hongroise, alternant une partie mélodique au balancement binaire et une valse furieuse aux accents marqués.
Brahms brouille cependant les pistes en croisant habilement écriture populaire (les mordants sur les seconds temps, les pizzicati de l’accompagnement) et contrepoint savant (les cordes se passent ensuite le témoin selon un jeu de relais subtil).
En guise de mouvement lent, Brahms adopte ensuite une forme en variations, architecture pour laquelle il montrera tou- jours une prédilection, depuis ses ouvrages élaborés à partir de thèmes de Haendel et Haydn jusqu’à la passacaille conclusive de sa dernière symphonie. Mais, comme dans le scherzo, le compositeur réinvente la forme en utilisant un thème de départ déjà ornementé et au cheminement harmonique aventureux, ce qui lui permet de transformer le petit train bien organisé des variations en chant continu, libre et rêveur. À la façon d’une pièce d’orgue sacrée, le mouvement s’achève sur une impressionnante pédale grave, le second violoncelle tenant pendant huit mesures le mi sur lequel se conclura la pièce. Cette page introspective est suivie d’un finale enlevé, avec une écriture sautillante qui rappelle les scherzos mendelssohniens et des passages chantants aux accents populaires. Une section plus animée encore conclut avec effervescence cette œuvre qui impressionnera les critiques le jour de sa première audition viennoise : « le sextuor vient de la main et de l’esprit, bien que d’ardentes pulsations du cœur s’y fassent parfois entendre », écrira très justement Karl Eduard Schelle dans Die Presse.