26 avril 2018
Les interprètes : Quatuor Verdi, Quatuor Niles
DMITRI CHOSTAKOVITCH (1906-1975)
Quatuor à cordes n° 7 opus 108
Voilà un programme d’une originalité enthousiasmante. Il réunit en effet des compositeurs et des œuvres peu connus. Chostakovitch est certes aujourd’hui très célèbre mais le plus court de ses quinze quatuors (moins d’un quart d’heure distribué sur trois mouvements enchaînés), assurément moins symphonique que le fameux Quatuor n° 8, est rarement entendu. Il est pourtant révélateur de son esprit : l’espièglerie côtoie sans cesse le drame, comme pour le provoquer. L’Allegretto s’ouvre ainsi par un dessin chromatique descendant du premier violon auquel répondent trois croches répétées comme un pied de nez ou des coups à la porte. Cette atmosphère ambiguë, grinçante, sarcastique, est entretenue par le violoncelle qui présente le second thème. Le second violon, seul, ouvre le Lento central par une mélodie qui ressemble plus à un accompagnement qu’à un thème. Le premier violon y superpose une mélodie clairement inspirée par la figure chromatique du mouvement précédent. Dans une atmosphère raréfiée, presque suffocante, Chostakovitch parvient à exprimer un profond désespoir. Il est soudainement balayé par la rage destructrice du finale : quatre notes à l’alto puis un mouvement irrésistible en canon qui ressemble à l’œil d’un cyclone. Réapparaît dans un puissant unisson fortissimo le thème initial du premier mouvement. La musique semble alors se dérégler en une valse improbable avant que revienne, comme une obsession, en pizzicati d’abord, le thème initial.
ARNOLD BAX (1883-1953)
Quatuor à cordes n° 1 en sol majeur (1918)
Excepté Elgar, voire Vaughan Willams, les compositeurs britanniques nés dans le second XIXe siècle, restent ostensiblement ignorés en France. Connaît-on les Bantock, Brian, Delius et autres Warlock ? Non. Pas plus qu’Arnold Bax pourtant auteur de nombreuses pages pour orchestre (sept symphonies, des poèmes symphoniques) et d’un important corpus de musique de chambre dont trois quatuors à cordes. Le premier, dédié à Elgar, commence dans une ambiance détendue, proche d’une sérénade de Dvorák, même si le second sujet se montre plus mélancolique. Le deuxième mouvement, indiqué Lento e molto expressivo, évolue dans un climat plus grave et, dans sa section centrale, il impose la sourdine, comme pour étouffer sa douleur. Il s’achève dans un accord pianississimo des quatre instruments. Le Rondo final commence en pizzicati, d’une façon très dansante (contretemps des violons), avant que l’alto ne fasse entendre une première idée puis, après un long passage rythmé, se présente une seconde, à 6/8, presque déhanchée comme une danse folklorique. Se déploie alors une mélodie, un peu mélancolique, inspirée semble-t-il d’un air populaire irlandais Bán Cnuic Éireann Óg (Les Belles Collines d’Irlande). Le quatuor se termine sur le retour de la danse, dans l’enthousiasme général.
ERICH WOLFGANG KORNGOLD (1897-1957)
Quatuor à cordes n° 1 opus 16
Si on commence enfin à s’intéresser à l’œuvre de Erich Wolfgang Korngold (notamment ses opéras comme La Ville morte ou Violanta), on la limita trop souvent à sa seule musique de film, qui lui valut, il est vrai, une enviable notoriété. La menace nazie contraint en effet ce juif autrichien à quitter l’Europe pour s’installer aux États-Unis où il deviendra une figure phare de Hollywood. Bambin, Korngold avait impressionné le tout Vienne musical et des compositeurs de l’envergure de Mahler, Strauss et Puccini. Le premier de ses trois quatuors à cordes date du début des années 1920 et est dédié au Quatuor Rosé, alors grand défenseur de la musique moderne. Passablement exigeant pour les interprètes, il commence par un Allegro molto dans lequel s’opposent deux idées : la première, chromatique et un peu bousculée, la seconde, contemplative et lyrique. C’est également dans un chromatisme tendu que s’ouvre l’Adagio quasi fantaisia (Schoenberg n’est pas loin) mais, à nouveau, le chant reprend ses droits. Après un Intermezzo lumineux et insouciant, le finale repose une fois de plus sur des idées antagoniste, d’abord lyrique, rythmique ensuite, demandant parfois aux musiciens des doubles et triples cordes.
JESSIE MONTGOMERY (1981 – )
Voodoo Dolls (2008)
Après ce quatuor d’une demi-heure, le concert se termine par Voodoo Dolls une brève œuvre contemporaine de la violoniste et compositrice américaine Jessie Montgomery. Commandée par Jump !, compagnie de danse de Rhode Island, elle est animée d’une énergie quasi continue. Elle commence par faire résonner le corps des instruments en les tapotant du bout des doigts avant de véritablement démarrer par ce qui ressemble à les traits d’un violoneux soutenus par une pulsation perpétuelle. Puis la musique semble s’arrêter comme si la batterie se vidait progressivement. Fausse alerte : elle reprend de plus belle, entraînée par un premier violon plus décidé que jamais.