3 août 2018
Les interprètes : Ambroisine Bré, La chapelle harmonique
L’ensemble du concert proposé par Ambroisine Bré et La Chapelle harmonique invite à un voyage dans l’Italie du début de l’ère baroque. Véritable père fondateur de son art, Claudio Monteverdi procède dans les années 1600 à de multiples innovations qui vont influencer des générations de musiciens. Dans le domaine lyrique, ses œuvres ne cherchent plus tant à éblouir l’auditoire dans un spectacle épique qu’à imiter en musique les tourments de l’âme humaine. Clé de voûte du programme de ce soir, le Lamento d’Arianna est emblématique de cette nouvelle orientation. Extrait d’un opéra créé à Mantoue pour célébrer le mariage du jeune duc de Gonzague avec la princesse Marguerite de Savoie, ce monologue poignant a marqué les esprits, comme le montre une plaquette publiée peu après l’événement, en 1608 : « Le Lamento que chante Ariane sur son rocher, quand elle a été abandonnée par Thésée, fut particulièrement miraculeux et joué avec tant de sentiment et de compassion, qu’il ne s’est trouvé aucun auditeur pour n’être alors apitoyé et que toutes les dames présentes laissèrent tomber leurs larmes à cette plainte. » Jonchée de chromatismes douloureux, l’œuvre donne ses lettres de noblesse à un genre qui connaîtra bien des adeptes.
À partir des années 1630, le lamento devient systématiquement associé à une basse obstinée ; quatre notes descendantes sont répétées inlassablement, fatalité à laquelle la voix soliste s’efforce vainement d’échapper par des variations successives. Telle est la forme employée par la compositrice Barbara Strozzi dans Che si può fare : « Que peut-on faire ? Si le ciel n’envoie aucun souffle de paix sur ma peine, que peut-on faire ? », répète le chant. La basse obstinée sert de fondement à de nombreuses formes musicales de l’époque baroque et Tarquinio Merula, compositeur crémonais réputé pour la qualité de ses musiques vocales, excelle dans cette écriture : son Aria sopra la ciaccona utilise la structure de la chaconne, danse lente à trois temps dont la basse, continuellement répétée, oscille entre les modes majeur et mineur. Ces modulations accompagnent l’humeur changeante du personnage qui évoque les tourments du passé et les promesses du présent : « Je ne pensais plus chanter sur la lyre d’amour, gaiement et doucement (…). Il y a peu, j’étais un amant dépité. Sur le bûcher de l’amour à peine refroidi, je chantais encore l’amour malheureux ». Avec ses deux seules notes séparées d’un demi-ton, c’est également une basse répétée qui accompagne la géniale et pourtant glaçante Canzonetta spirituale sopra alla nana. La Vierge Marie chante une terrible berceuse qui annonce la passion de son fils sur la croix : « Repose tes jolis membres gracieux, gracieux et tendres, car viendra le moment où les fers et les chaînes leur donneront de cruelles peines ». L’écriture en basse obstinée n’est cependant pas toujours synonyme de sentiments funestes. Elle peut servir de support à des pièces instrumentales enjouées et brillantes : publiée en 1575 par l’organiste de Naples Antonio Valente, la Gallarda napolitana est l’œuvre dansante d’un maître du clavier. Virtuose du théorbe adulé à Rome dans la première moitié du XVIIe siècle, Giovanni Girolamo Kapsperger compose pareillement un bref Canario qui fait rayonner l’instrument. Œuvre libre par excellence, sa Toccata l’arpeggiata quitte en revanche le carcan de la basse obstinée pour suivre un discours harmonique inventif qui met en valeur l’agilité de l’interprète.Si la majeure partie du programme met en avant l’expressivité pathétique de la voix, plusieurs canzonette montrent la facette légère et joyeuse des monodies baroques. Tranchant radicalement avec la berceuse macabre entendue en première partie, Sentirete una canzonetta, du même Tarquinio Merula, est une démonstration de fraîcheur au rythme sautillant. Les paroles sarcastiques restent pourtant dans le thème traditionnel de l’amour non partagé : « Écoutez une chansonnette, sur la belle petite bouche de mon bel amour sans pitié, qui chaque heure en mon cœur me tourmente, et me fait soupirer pour sa grande beauté ». Ce thème est également à l’honneur dans la canzonetta de Monteverdi Quel sguardo sdegnosetto (« Ce regard dédaigneux »), où le compositeur figure par des vocalises virtuoses, non sans humour, les « étincelles » qui frappent le cœur amoureux. Écrite par le claviériste virtuose Girolamo Frescobaldi, Se l’aura spira marque l’incursion du compositeur dans le domaine vocal. Cet air bref et enlevé propose un texte de saison en cet Août musical : « Si la brise souffle, toute gracieuse, la fraîche rose demeure rieuse, le buisson ombreux de vertes émeraudes ne craint pas les chaleurs de l’été ».