Charles Ives
Compositeur discret, qui renonça à une carrière d’instrumentiste pour fonder sa compagnie d’assurance, Charles Ives n’en reste pas moins une figure essentielle de la modernité musicale américaine. Né dans le Connecticut dans une famille de musiciens, il est initié par son père au répertoire classique et aux harmonies peu communes : chef d’orchestre d’une brigade mobilisée dans la guerre de Sécession, George Ives aime expérimenter avec ses musiciens, en faisant par exemple défiler simultanément dans les rues de sa ville plusieurs fanfares jouant des morceaux différents. L’éducation musicale pour le moins atypique du jeune Charles permet de comprendre comment il deviendra l’un des pionniers de la composition musicale au vingtième siècle, notamment avec son utilisation radicale de la polytonalité, dans la lignée des initiatives paternelles. Pianiste et organiste dans sa jeunesse, il continue ses études de composition à Yale avec Horatio Parker, tout en s’intéressant aux humanités et aux mathématiques ; sa Symphonie n° 1 fait office de thèse de fin d’études. Son activité de compositeur se poursuit néanmoins sur son temps libre, en parallèle d’une carrière à succès dans le monde de l’assurance new-yorkais. Plusieurs attaques cardiaques mettent un frein à une production pourtant prolifique : quatre symphonies achevées, dont l’imposante Symphonie n° 4 qui nécessite l’usage de deux pianos accordés avec un quart de ton d’écart, mais aussi de nombreuses pièces pour orgue, des œuvres chorales, deux quatuors à cordes et plusieurs sonates pour violon et piano, ainsi que des mélodies et pièces pour piano seul – mentionnons la Concord Sonata, inspirée des auteurs transcendantalistes américains qui donnent leur nom aux différents mouvements (Emerson, Hawthorne, The Alcotts, Thoreau). Avec The Unanswered Question (1906), il laisse à la postérité ce qui sera considéré comme l’expression la plus aboutie de son style personnel. L’originalité de l’effectif et du dispositif scénique est mise au service d’un message philosophique : une trompette soliste joue à l’avant-scène des motifs très courts représentants selon Ives « l’éternelle question de l’existence », accompagnée par un quatuor à cordes invisible situé hors-scène, tandis que quatre flûtes lui répondent par une explosion stridente jusqu’au silence interrogatif final. A partir de 1930, il consacre sa retraite à la révision de ses œuvres et au soutien à la génération de jeunes compositeurs par le financement de concerts et de maisons d’édition musicale. En 1947, il obtient le Prix Pulitzer pour la Symphonie n° 3, consécration ultime d’une carrière musicale menée en dilettante et pourtant si avant-gardiste et foisonnante.