11 août 2023
Les interprètes : Magdalena Sypniewski, Emmanuel Coppey, Paul Zientara, Anna Sypniewski, Stéphanie Huang, Arthur Hinnewinkel
WOLFGANG AMADEUS MOZART
Quatuor pour piano et cordes K. 478
Avant que Felix Mendelssohn, Robert Schumann et Johannes Brahms ne lui emboîtent le pas, c’est Wolfgang Amadeus Mozart qui posa en 1785 les fondations du quatuor avec piano classique et romantique. Opérant sous cette forme la fusion du concerto et de la musique de chambre, le compositeur salzbourgeois surprit, d’autant qu’il choisit pour initier ce nouveau genre une tonalité mineure qu’il employait très rarement.
En trois mouvements, le Quatuor en sol mineur K. 478 regorge de traits de virtuosité dans l’écriture pianistique, avec un jeu de gammes d’arpèges typique des concertos mozartiens. Son caractère rappelle par bien des aspects des œuvres de la période antérieure Sturm und Drang (Tempête et passion), notamment dans le vaste Allegro initial. Son premier thème entonné abruptement à l’unisson comporte en quelques mesures plus de contrastes que bien des opus de l’époque ! Si le second personnage mélodique présenté par Mozart est ensuite plus galant, le contrepoint de sa partie centrale donne au quatuor l’apparence d’un chœur sacré cherchant la rédemption.
Il faut attendre le mouvement central pour trouver une issue heureuse : l’écriture chantante et délicatement ornementée a des similitudes avec le pardon final des Noces de Figaro, opéra composé à la même période, et le duo du violon et de l’alto à la tierce prend l’allure d’un dialogue amoureux. Le rondo conclusif adopte la tonalité nettement plus lumineuse de sol majeur ; malgré une péripétie qui laisse craindre le retour des tracas du premier mouvement, le caractère général reste enlevé et franchement joyeux, à l’image de cette période insouciante de la vie de Mozart.
Quintette à cordes en sol mineur K. 516
Deux ans après son premier Quatuor pour piano et cordes K. 478, Mozart s’attelle à un autre effectif chambriste rarement usité : le quintette à cordes, un alto étant ajouté aux quatre instruments habituels du quatuor. Mozart n’innove pas totalement ; Michael Haydn, Luigi Boccherini, Ignaz Pleyel, les fils Bach s’étaient déjà aventurés avant lui dans des formations à cinq archets. Mais la formation reste à l’époque un défi dédaigné par bien des créateurs : « la cinquième personne est ici aussi peu nécessaire à la variété du dialogue qu’à la richesse de l’harmonie, où elle ne fait que dérouter et apporter l’incompréhensibilité dans le morceau », écrivait ainsi le compositeur Johann Friedrich Reichardt en 1773 !
Malgré tout, Mozart se lance dans le genre en composant un diptyque d’œuvres originales, le Quintette en do majeur K. 515 (ajouté à son catalogue le 19 avril 1787) et son pendant en sol mineur K. 516 (daté du 16 mai 1787).
N’en déplaise à Reichardt, Mozart insère l’alto supplémentaire dans la conversation à cinq avec une intelligence admirable, lui donnant ici la parole en réponse au premier violon, lui confiant là la basse d’un trio constitué avec les deux violons. Si le premier mouvement peut avoir à première vue un caractère ludique et plein de vie, avec ses dialogues polis et la pulsation omniprésente dans l’accompagnement, on peut y déceler également une sourde inquiétude, nourrie par les harmonies sombres de la tonalité de sol mineur – dans la lignée du Quatuor K. 478 – et par l’utilisation de larges intervalles mélodiques qui semblent chercher la lumière. Dans cette page vaste, l’insertion d’une ultime section de développement avant la conclusion ajoute un poids dramatique non négligeable. Et le mouvement s’achève abruptement sans donner l’impression d’une résolution.
Loin d’être dansant, le menuet qui suit n’apporte pas la détente espérée, restant dans un mode mineur ponctué d’accords tranchants. L’Adagio ma non troppo permet d’apprécier enfin la lumière de la tonalité de mi bémol majeur, bien plus courante chez Mozart où elle est souvent associée à la musique sacrée ou de circonstance. Faut-il entendre dans son chant la prière d’un fils qui sait son père au crépuscule de son existence ? Au début du printemps, Wolfgang a écrit à Leopold : « J’apprends que vous êtes vraiment malade. Avec quel ardent désir j’attends de vous-même une rassurante nouvelle de votre plume. Je l’espère fermement, bien que je me sois fait une habitude, en toutes circonstances, de me représenter le pire. » De manière inattendue, Mozart prolonge le climat de son troisième mouvement en faisant précéder son finale d’une introduction lente aux allures de lamentation bouleversée et bouleversante, là encore en sol mineur. Dans ce contexte pesant, la fin heureuse de l’ouvrage ne peut être comprise que comme une soumission aux conventions du genre. Ce lieto finale voit le premier violon se lancer dans des figures virtuoses impressionnantes, comme un ultime hommage à l’instrument fétiche du père Mozart.