12 août 2023
Les interprètes : Magdalena Sypniewski, Emmanuel Coppey, Paul Zientara, Anna Sypniewski, Stéphanie Huang, Gabriel Durliat
EDWARD ELGAR
Quintette pour piano et cordes en la mineur op. 84
Sur les ruines encore fumantes de la Première Guerre mondiale, Edward Elgar se lance en 1918 dans la composition d’une série d’œuvres de musique de chambre : en quelques mois se succèdent une sonate pour violon et piano, un quatuor à cordes et un quintette pour piano et cordes. Qu’est-ce qui a bien pu pousser le maître britannique de la musique orchestrale vers ces effectifs bien plus confidentiels ? Est-ce une volonté de lancer enfin une tradition anglaise de la musique de chambre, détachée de l’héritage germanique ? Une façon pour le compositeur d’initier un retour progressif à la vie créatrice après des années difficiles ?
Ces deux raisons sont sans doute aussi valables l’une que l’autre. Tout Anglais et précurseur qu’il soit, Elgar ne s’aventure toutefois pas dans la musique de chambre sans modèles. Les musicologues ont souligné la proximité de son langage musical dans ce répertoire avec celui de Johannes Brahms (pour le principe de « variation développante » qui permet au matériau de se générer avec fluidité), son amour des œuvres chambristes de Gabriel Fauré ou encore sa proximité avec le style de César Franck. Il est vrai qu’à bien y regarder, le Quintette op. 84 d’Elgar reprend bien des caractéristiques des opus de ce dernier : sa forme en trois mouvements et ses thèmes reparaissant au fil de la partition rappellent fortement le Quintette pour piano et cordes franckiste.
L’œuvre d’Elgar a cependant bien sa personnalité propre, qu’elle doit peut-être à des sources d’inspiration extra-musicales. Le compositeur est resté évasif à ce sujet, qualifiant son ouvrage de « ghostly stuff » : « des trucs de fantômes ». Deux hypothèses ont été évoquées par les commentateurs. Remarquant l’atmosphère sombre du mouvement initial, la citation du Salve Regina dès les premières notes du piano et l’écriture par endroits hispanisante, certains ont fait le rapprochement avec une légende des bois de Bedham, dans lesquels le compositeur s’était promené pendant la genèse de son Quintette : ces arbres seraient des moines espagnols, qui auraient pratiqué la magie noire et auraient été transformés après avoir été frappés par la foudre… L’autre histoire qui aurait pu inspirer Elgar provient du roman A Strange Story, écrit en 1862 par Edward Bulwer-Lytton et que le compositeur avait lu et apprécié. Il est vrai que beaucoup d’éléments dans le premier mouvement du Quintette font penser à l’un des protagonistes du roman, le séduisant docteur Margrave, explorateur, assassin et magicien qui poursuit sa quête de l’immortalité en pratiquant de sinistres expériences. Plus d’une fois le roman mentionne ses murmures et ses incantations ; en écoutant l’inquiétant début du Quintette d’Elgar, avec son chant ancestral et les ponctuations mystérieuses des quatre archets, il est tentant de penser qu’on assiste en effet à une strange story…
JOHANNES BRAHMS
Quintette à cordes n° 2 en sol majeur op. 111
« Le quintette a tout à fait les mêmes caractères que les dernières œuvres dans lesquelles nous avons eu plaisir à louer la généreuse et splendide solidité de facture, l’intensité expressive et l’admirable concision de la forme », écrivit Eduard Hanslick à propos du Quintette op. 111 de son ami Johannes Brahms. Et le critique musical d’ajouter que « Brahms semble se concentrer de plus en plus, il semble trouver de mieux en mieux, et avec une assurance toujours accrue, dans l’expression forte et vigoureuse des sentiments simples ». Il est vrai qu’à l’écoute de l’ouvrage, on peut être frappé par l’efficacité de Brahms qui utilise des idées fortes : le contraste radical entre l’entrée puissante du violoncelle et le chant tendre des altos dans le premier mouvement, le thème élégamment ornementé du premier alto dans l’Adagio, le rythme chaloupé entêtant du troisième mouvement, les accents populaires du finale donnent à l’œuvre une immédiateté, une clarté et une fraîcheur qui tranchent avec l’image crépusculaire qu’on associe trop systématiquement aux opus tardifs.
En cette année 1890, Brahms s’apprête en effet à prendre sa retraite. Seule la rencontre d’un clarinettiste l’année suivante (cf. concert du 8 août) le convaincra de relancer sa carrière de compositeur. Le Quintette op. 111, quant à lui, est né grâce à l’insistance du violoniste Joseph Joachim qui, rappelant son attachement au Quintette op. 88, avait émis le souhait de voir Brahms écrire à nouveau pour cette formation. L’œuvre cachait-elle un autre dessein ? Max Kalbeck, ami et premier biographe du compositeur, soulignera le caractère orchestral du premier mouvement, héritage selon lui d’un projet de Cinquième Symphonie. De fait, Brahms profite des cinq voix de la formation pour trouver de subtils jeux de texture et de contrepoint dont il s’est depuis longtemps fait le maître. Derrière l’apparente simplicité du discours, l’œuvre témoigne ainsi d’une maîtrise de l’écriture chambriste dont se souviendront bien des successeurs du compositeur : au même titre que les nombreux relais entre les instruments dans le premier mouvement, l’orchestration riche et l’architecture singulière de l’Adagio (entre variations et forme ternaire) font partie de ces ingrédients dont se souviendra par exemple Arnold Schönberg composant La Nuit transfigurée.