22 avril 2012
Les interprètes : Alexandra Soumm, Adrien Boisseau, Jérôme Pernoo, Jérôme Ducros
Un programme 100% français pour ce concert du dimanche 22 avril au matin. Souvenons-nous, ce jour-là, nos concitoyens étaient appelés à voter pour désigner leur nouveau président… Deux musiciens français au programme donc, mais difficile d’imaginer un plus grand écart stylistique entre les pièces pour violoncelle et piano de Fauré, musique de salon charmante mais parfois un peu facile, et le Quatuor pour la fin du temps de Messiaen, une œuvre écrite en captivité dans le camp de Görlitz et créée dans des conditions et sur des instruments de fortune le 15 janvier 1941. Au-delà de ces circonstances très particulières, cette page chambriste a pourtant su « sortir du temps » pour s’imposer comme l’une des plus décisives du siècle dernier… et l’une des plus immédiatement reconnaissables. Références théologiques, chants d’oiseaux, blocs de couleurs : tout Messiaen est bien là, et l’œuvre ne cesse de nous toucher tout au long de ces huit mouvements qui alternent les combinaisons entre les quatre musiciens tout mis à sérieuse contribution. Dans Abîme des oiseaux, le clarinettiste Rémi Delangle a ainsi droit à un solo de plus de huit minutes, tandis que les deux Louanges, à l’éternité et à l’immortalité de Jésus sont respectivement chantées par Yan Levionnois au violoncelle et Mi-Sa Yang au violon, le tout accompagné par le piano expert d’Adam Laloum.
On se détend donc après l’entracte, en laissant aux commandes les deux Jérôme, Pernoo et Ducros – deux figures historiques du festival – pour poignante Elégie et de virevoltants Papillons de Fauré. Œuvre plus substantielle, le 1er Quatuor avec piano est l’une des grandes réussites du premier Fauré avec la Sonate pour violon et piano opus 13.
Quelques années après le désastre de Sedan, Fauré cherche Saint-Saëns au sein de la Société nationale de musique à promouvoir et créer une musique de chambre française, libérée des influences germaniques… objectif à demi-réussi dans cette œuvre, à la fois totalement personnelle mais où passent par instants les ombres de Brahms, Schumann ou Mendelssohn. Les deux Jérôme sont ici rejoints par la pétulante Alexandra Soumm au violon et l’étonnant Adrien Boisseau à l’alto.
de Hahn.
« Il n’y aura plus de temps ; mais au jour de la trompette du septième ange, le mystère de Dieu se consommera » annonce Jean dans son Apocalypse. Ce que prédit « un ange plein de force » dans ce texte célèbre, Olivier Messiaen a voulu l’exprimer en musique dans son Quatuor pour la fin du temps. Il n’a pas choisi à dessein un quatuor composé d’une clarinette, un violon, un violoncelle et un piano. Il a du faire avec les musiciens disponibles dans ce camp de Görlitz, en Silésie, où tous étaient prisonniers de guerre. La création fut donnée sur place, le 15 janvier 1941, « par un froid atroce » et sur des instruments défectueux selon les souvenirs du compositeur. Pour signifier cette fin du temps, la dérèglement de son imperturbable arithmétique, Messiaen a naturellement travaillé sur son unité de mesure : le rythme. « Le rythme est, par essence, changement et division. Etudier le changement et la division, c’est étudier le Temps » explique-t-il. C’est pourquoi il utilise de nombreux « rythmes spéciaux », parfois inspirés d’Inde et de la Grèce antique, pour « éloigner le temporel ». Il recourt également à l’augmentation ou la diminution progressive d’une valeur rythmique, aux rythmes non-rétrogradables c’est-à-dire lisibles dans les deux sens comme un palindrome et n’indique pas toujours la mesure (mouvements n° 3, 5 et 6).
Le Quatuor pour la fin du temps s’organise en huit mouvements. « Sept est le nombre parfait, la création et le jour sanctifié par le sabbat divin ; le sept de ce repos se prolonge dans l’éternité et devient le huit de la lumière indéfectible, de l’inaltérable paix ». Pour accéder à ce monde hors du monde, Messiaen nous convie d’abord à une Liturgie de cristal durant laquelle « un oiseau soliste improvise entouré de poussières sonores ». Les quatre instruments semblent jouer indépendamment les uns des autres. La clarinette et le violon font entendre des chants d’oiseau. Suit la Vocalise pour l’Ange qui annonce la fin du temps. Brève mais impressionnante évocation de sa puissance, suivie de « cascades douces d’accords bleu et mauve, or et vert, violet-rouge, bleu-orange » du piano sur lesquelles glissent une tendre mélodie des deux archets. La clarinette seule évoque l’Abîme des oiseaux, cet abîme qui est le temps « avec ses tristesses et ses lassitudes » avant d’être envahi par « le style fantaisiste et gai du merle noir ». On y entend passer des souvenirs de Boris Godounov de Moussorgski. L’Intermède commence par un vigoureux unisson des instruments (le piano reste muet) et prend des allures de liesse collective. Lui succède une longue phrase du violoncelle qui entonne « avec amour et révérence » une Louange à l’éternité de Jésus, sobrement accompagnée par le seul piano. Le quatuor se réunit et rassemble ses forces pour s’élancer d’un même mouvement dans une Danse de la fureur pour les sept trompettes. « Il s’agit surtout d’une étude de rythme » s’empresse de préciser Messiaen qui ne prétend nullement avoir voulu « évoquer les trompettes de l’Apocalypse et les catastrophes diverses qui les accompagnent ». Le septième mouvement semble revenir au cinquième : le violoncelle étire à nouveau une tendre mélodie accompagnée au piano mais ce Fouillis d’arcs-en-ciel, pour l’Ange qui annonce la fin du temps se colore vite d’une seconde idée, beaucoup plus animée, soutenue par tout le quatuor et empruntée au deuxième mouvement. Le premier thème va faire l’objet de plusieurs variations que le second viendra régulièrement perturber. Le quatuor s’achève dans le climat apaisé de la Louange à l’immortalité de Jésus, jumelle du cinquième mouvement si ce n’était que le violon remplace cette fois le violoncelle. « Sa lente montée vers l’extrême-aigu, c’est l’ascension de l’homme vers son Dieu, de l’enfant de Dieu vers son père, de la créature divinisée vers le paradis » conclut Messiaen.
« L’accueil fait à mon morceau de violoncelle a été excellent et m’encourage beaucoup à faire la sonate entière » écrivait Gabriel Fauré à son éditeur. Le compositeur changea pourtant d’avis puisque son opus 24 se limite à la seule, mais désormais célèbre, Elégie. Elle conserve cependant une forme ternaire ABA susceptible de passer pour un mouvement lent de sonate. Le premier thème, en ut mineur, plus douloureux que véritablement élégiaque, est confié au registre supérieur, naturellement éloquent, du violoncelle qu’accompagnent les accords réguliers du piano. Sa ligne claire en notes souvent conjointes le rend inoubliable. La seconde idée présentée cette fois par le piano — presque à regret, du bout des doigts — montre davantage de retenue. Le violoncelle et sa déclaration passionnée ont cependant le dernier mot et, après un ultime sursaut, s’éteignent progressivement tandis que le piano sonne trois arpèges.
Un an après la création de cette Elégie, l’éditeur Hamelle réclame à Fauré la seconde partie d’un potentiel diptyque, orientée cette fois vers la virtuosité. Ce Papillon évoque dans un premier temps, sans doute à cause de la sonorité ample du violoncelle, un vol un peu plus lourd, moins agacé que celui du bourdon de Rimski-Korsakov, malgré la régularité de ses doubles croches. Une seconde partie lui permet un geste plus ample que soutiennent de larges arpèges du piano. Cette pièce très courte, quasi descriptive, n’évoque en aucun cas le romantisme échevelé des Papillons pour piano de Schumann.
Initialement conçue pour orgue et violoncelle, la Romance opus 69 débute par des montées de gamme et d’arpèges du violoncelle qui ressemblent à un échauffement, avant d’énoncer une mélodie en demi-teintes et notes conjointes ascendantes puis descendantes. Cette pièce courte de trois minutes datée de 1894, donc proche des mélodies de Venise et de La bonne chanson écrites sur des poèmes de Verlaine, appartient à la période créatrice médiane de Fauré alors que le quatuor pour piano et cordes opus 15 se classe dans la première. Œuvre d’un compositeur de trente-et-un ans, ce quatuor contient quelques idées mélodiques particulièrement remarquables, pleines d’élan. Le vigoureux Allegro molto moderato, par sa tonalité épique et beethovenienne d’ut mineur, le souffle puissant de son ouverture (unisson des cordes et contrechant tumultueux du piano) et son esthétique quasi symphonique, ferait plutôt penser au jeune Brahms. Le second thème, énoncé par le piano, contraste par son caractère apaisé (relatif majeur) et mélodique (opposé aux rythmes pointés du premier). C’est en fait le premier qui dominera tout ce premier mouvement. Le Scherzo, placé en deuxième position au lieu de la traditionnelle troisième, propulse le piano sur une mesure à 6/8 que soutiennent les pizzicati des cordes. Par son caractère obstiné et ailé, cette idée principale rappelle les scherzi de Mendelssohn. La partie centrale laisse le piano poursuivre sa course folle tandis que les cordes sourient sous leurs sourdines. L’Adagio retourne vers les ténèbres de l’ut mineur initial. Le piano fait sonner le glas de lourds accords tandis que le violoncelle, puis l’alto et le violon, entonnent une sombre déploration. Le violon apporte sinon de la joie, du moins une consolation, par son lyrisme feutré en majeur. Le Finale : allegro molto retrouve l’énergie fonceuse du premier mouvement également développée sur une figure en rythmes pointés et en ut mineur. L’alto lui oppose une phrase dolce e espressivo en valeurs longues. Malgré le retour de la violente chevauchée d’ouverture, le quatuor se termine, comme dans certaines pièces de Beethoven, sur un triomphe du mode majeur. La lumière a fini par l’emporter.