27 avril 2012
Les interprètes : Quatuor Zaïde
Elles sont quatre, elles sont jeunes et elles forment un quatuor avec lequel il va falloir compter dans les prochaines années. Concours de Bordeaux, concours de Banff, et plus récemment, auditions Young Concert Artists à New York : leur palmarès des Zaïde est déjà impressionnant alors qu’elles ne jouent ensemble que depuis 2009. Ce concert du vendredi 27 avril 2012 est l’occasion de le vérifier toute l’étendue de leur talent, du très tendu Quartettsatz de Schubert, seul vestige d’un quatuor laissé inachevé, au 4e Quatuor de Zemlinsky, hommage à l’ami Berg récemment disparu et réponse à la Suite lyrique de ce dernier, une œuvre justement dédiée… à Zemlinsky. Au-delà de cet échange de bons procédés, les deux œuvres partagent le même nombre de mouvements (six) alternant sections lentes et rapides.
Encore plus dense, le Quintette pour piano et cordes de Franck appelle une concentration et une écoute de tous les instants. David Kadouch rejoint nos drôles de dames pour un dialogue sans concessions où l’on reverra à de nombreuses reprises une petite mélodie pointer le bout de son nez.
« Doux rêves, bercez son sommeil / Et que ce qu’il imagine / Dans ses rêves d’amour / Devienne enfin réalité » : voilà ce que chante Zaïde, héroïne de l’opéra éponyme (mais inachevé) de Mozart, dans son grand air Ruhe sanft. Comme un symbole, pour une formation déjà passée maître pour transformer nos rêves musicaux en réalité.
Quartettsatz, c’est-à-dire mouvement de quatuor. Schubert a en effet abandonné la composition de cette nouvelle œuvre après quelques mesures du deuxième mouvement. D’autres œuvres de cette noire année 1820 (l’étonnante cantate Lazarus, par exemple) connaitront le même sort. Ne reste donc que cet Allegro assai. Unique mouvement mais aussi mouvement unique par sa puissance dramatique, affirmée dès les premières mesures obstinées, presque crispées. Le second thème, plus souriant, en majeur, fait valoir les qualités de mélodiste de Schubert, maître du lied, inventeur infatigable d’airs qui restent dans la tête. Cette dizaine minutes de musique sublime laisse pourtant une impression persistante de tension et d’angoisse autant par la présence de thèmes secondaires au chromatisme inquiet que par un traitement très concentré des idées. Pour conclure, Schubert laisse tomber deux accords, lourds de tout son désespoir.
Si le premier quatuor (1896) de Zemlinsky peut parfois évoquer Schubert ou Brahms, le dernier, le quatrième (1936), fait penser à Berg et en particulier à sa Suite lyrique dont il partage la découpe en six parties qui accueillent des thèmes communs et font alterner régulièrement tempos vifs et tempos lents. Berg a dédié sa Suite lyrique à Zemlinski. Celui-ci a écrit son quatuor n° 4 en hommage à Berg, disparu en décembre 1935. Un Präludium indiqué poco adagio ouvre l’œuvre. A la différence des préludes de Bach aux contours bien nets, celui-ci semble longtemps hésiter entre plusieurs directions avant d’énoncer et de répéter un thème irrégulier de six notes. Le Burleske se réfère peut-être au finale du quatuor précédent ou à la symphonie n° 9 de Mahler que Zemlinski admirait. Il oppose un mouvement perpétuel à des pizzicati puis additionne des idées qui jaillissent avec une égale profusion. L’Adagietto se satisfait d’une seule qui suffit à lui conférer un caractère à la fois sombre et grave. La détermination rythmique de l’Intermezzo, noté allegretto, lui donne des allures de scherzo qu’accompagnent de riches contrechants. Le violoncelle présente ensuite le thème désolé qui fera l’objet de variations dans la Barcarolle (Poco Adagio). Le quatuor s’achève par une double fugue, allegro molto energico, trop frénétique pour être joyeuse.
Si César Franck était mort à cinquante ans, il aurait peiné à passer à la postérité. A l’instar d’un Rameau devenu célèbre pour ses opéras composés sur le tard, Franck doit sa notoriété grâce à sa symphonie, ses Variations symphoniques, sa sonate pour violon et son Prélude, choral et fugue, qui datent des années 1880. Le quintette pour piano et cordes, achevé en 1879, s’inscrit naturellement sur cette liste et définit clairement le style de son auteur. Qui dit Franck pense cycle. Son quintette se soumet en effet à sa loi, celle d’une idée qui revient régulièrement comme « l’idée fixe » de la symphonie Fantastique de Berlioz et qui réapparait dans chaque mouvement. Le compositeur ne la dévoile pas tout de suite. Il fait précéder l’Allegro d’un Molto moderato quasi lento tourmenté, presque désespéré. Le motif est pourtant banal : une simple descente de gamme, allongée d’une tierce par les cordes, qui prend une allure tragique (la partition demande dramatico et fortissimo) par ses brusques saccades de notes doublement pointées donc inégales. Le piano répond par un thème consolateur entrecoupé de silences mais le ton reste foncièrement inquiet. Après que la ligne descendante a glissé d’un archet à l’autre, le piano ouvre l’Allegro par un thème également en rythme pointé. Le premier violon énonce enfin le thème principal, chromatique, qui semble tourner sur lui-même et fait alterner valeurs brèves (croches) et longues (blanches) dans un climat tenero ma con passione (tendre mais avec passion). Avec un long développement le thème réapparait et laisse la place à une conclusion, d’abord bruyante, qui peu à peu s’éteint dans le silence que trouent des accords du piano. Le mouvement central, Lento con molto sentimento, repose sur une idée principale, exposée dès la première mesure par le premier violon au-dessus d’accords réguliers du piano. Elle ne peut toutefois pas empêcher le retour du thème cyclique. Le finale s’élance con fuoco dans une course éperdue marquée par le bourdonnement des deux violons avant que n’apparaisse le premier thème, nerveux, énoncé par les cordes. Une seconde idée, souvenir du mouvement précédant, s’y ajoute avant que ne revienne, après une longue attente, le thème cyclique. Le finale achève en un fa majeur triple forte un quintette débuté en fa mineur. Cette pièce marque une des premières tentatives de la musique de chambre française de vouloir se hisser au niveau de sa cousine allemande alors représentée par Brahms qui avait, lui aussi composé un quintette avec piano en fa mineur.