Franz Schubert
Qu’elle s’exprime dans un lied de quelques minutes ou dans une page chambriste de près d’une heure, l’inspiration mélodique de Schubert aura toujours semblé intarissable dans les trente-et-une années de sa trop courte vie. Près de mille œuvres auront vu le jour en si peu de temps, dont six-cents lieder environ, avec des pics de production défiant parfois l’entendement (pour la seule année 1815 par exemple : quatre opéras, cent-quarante lieder, une dizaine d’œuvres pour piano, deux symphonies, de la musique religieuse…).
Dans le domaine de la musique de chambre cependant, les choses n’auront pas toujours été aussi régulières. Sur les quinze quatuors à cordes qui nous sont parvenues, onze datent des années d’adolescence de Schubert et étaient destinés à être exécutés dans le cercle familial, avec une influence très visible des partitions de Haydn et Mozart sur le jeune homme. Après des années de crise et de questionnement (dont il nous reste le bouleversant Quartettsatz en mineur D 703, dont on aurait tant aimé connaître la suite…), on pénètre dans un autre monde avec les 13e et 14e quatuors, où Schubert, tout en respectant en apparence les modèles classiques, fait entrer la musique de chambre dans une nouvelle ère. S’appuyant sur des mélodies venues d’œuvres antérieures (le ballet Rosamunde, le lied La Jeune fille et la mort), il élargit les dimensions de ses compositions jusqu’à l’inenvisageable (Schumann parlait très justement des « divines longueurs » du dernier Schubert) pour en faire de véritables symphonies déguisées. Cette démarche culmine avec le 15e et dernier quatuor D 887 de 1826, et plus encore avec le grand quintette à deux violoncelles D 956, chef-d’œuvre absolu de toute la littérature chambriste achevé quelques semaines avant la triste disparition du musicien dans la misère la plus totale.
Dans le même esprit, les deux grands trios pour piano, violon et violoncelle de 1827, D 898 et D 929 (sur lequel flotte le parfum entêtant de Barry Lindon), sans oublier le si fragile Notturno D 897 pour la même formation, tutoient eux-aussi les sommets, avec ce miracle permanent de l’inspiration qui voudrait que, par leur lyrisme toujours renouvelé, jamais ces œuvres ne cessent.
Des circonstances plus heureuses ont vu naître des partitions plus détendues, comme le célèbre Quintette D 667 La Truite, où une contrebasse s’invite pour faire plus librement chanter le violoncelle du dédicataire, l’imposant Octuor D 803 pour cordes et vents de 1824, hommage au Septuor que Beethoven avait composé pour une formation presque identique, les Variations sur Trockne Blumen D 802, morceau de bravoure de tout flûtiste qui se respecte, et surtout la Sonate pour arpeggione et piano D 821, que tous les instrumentistes à cordes se sont empressés de s’approprier pour mieux nous faire oublier qu’elle était à l’origine destinée à un éphémère instrument, curieux mélange de guitare et de violoncelle.