9 mai 2013
Les interprètes : Yan Levionnois, Trio Les Esprits
Construit autour du Trio Les Esprits, le concert du 9 mai 2013 offrait un résumé saisissant du genre, partant de Mozart pour arriver à Henze. L’alpha et l’oméga en quelque sorte, notre cher Wolfgang étant l’un des premiers à donner ses lettres de noblesse à ce format instrumental, en cherchant à établir un véritable dialogue chambriste entre les trois instruments (contrairement à Haydn qui considérait plutôt le genre comme un concerto pour clavier miniature), tandis que Hans Werner Henze, qui s’était éteint quelques mois seulement avant le concert, affirmait dans cette Kammersonate de jeunesse sa fidélité aux principes sériels alors triomphants. Autour d’Adam Laloum au piano, Les Esprits font preuve de toute leur polyvalence et réalisent en souplesse un grand écart stylistique des plus délicats.
Autre hommage à un compositeur disparu en 2012, les Three Sketches de Jonathan Harvey permettaient aux Esprits de se reposer et à Yan Levionnois de prouver sa bravoure dans le répertoire contemporain. Pour le bouquet final, Adam Laloum retrouve son cher Schumann et les Esprits s’adjoignent les services de la fratrie Chilemme, Guillaume au violon et sa sœur Marie à l’alto. Au programme, le Quintette avec piano du compositeur allemand, sans doute le plus beau fruit de cette prodigieuse année 1842 qui verra naître entre autres pépites chambristes les trois quatuors à cordes et le quatuor avec piano. Conquérante et lyrique à la fois, l’œuvre fut pourtant jugée trop « leipzigoise » par Liszt. Faites-vous donc votre opinion en vous laissant emporter par les flots tumultueux du finale ou bercer par le recueillement du mouvement lent en forme de marche funèbre.
Si les trios avec piano de la période romantique, signés Beethoven, Schubert, Schumann, Brahms ou Dvorák, sont joués et enregistrés, ceux de Haydn et Mozart restent souvent dans l’oubli. Mozart en composa pourtant cinq entre 1786 et 1788, c’est-à-dire à l’époque des Noces de Figaro, de Don Giovanni, des trois dernières symphonies et des concertos pour piano n° 23 à n° 26, donc d’une période d’incroyable fertilité créatrice. Mozart date le trio en si bémol majeur K. 502 du 18 novembre 1786. Il a pour particularité une forme de premier mouvement quasi monothématique. A la traditionnelle opposition entre deux idées présentées l’une après l’autre puis développées, le compositeur préfère se concentrer sur un thème principal. Il revient au piano de l’énoncé dès la première mesure. Au numéro 82, la barre de reprise impose un retour au début accentuant l’effet de répétition d’une mélodie unique. A la fin de cette redite apparaît enfin la seconde idée, calmement exposée par le violon et aussitôt reprise par le piano. Le Larghetto commencé seul par le piano pourrait parfaitement avoir sa place dans l’un des grands concertos : le violon et le violoncelle font alors office d’orchestre. Le dialogue entre le clavier et l’archet aigu domine ce mouvement central dans lequel le thème principal sera varié. Le finale, également aux allures concertantes, s’élance Allegretto sur une levée du piano. On remarquera le rôle de plus en plus affirmé du violoncelle qui quitte progressivement l’anonymat de la basse pour la lumière du soliste au côté du violon dans cette forme rondo (refrain-couplets).
Disparu le 27 octobre dernier à l’âge de quatre-vingt-six ans, Hanz Werner Henze se laissa difficilement étiqueter. Cet Allemand devenu italien sans doute par amour de l’opéra reçut une formation qui aurait dû en faire un des maîtres de l’avant-garde comme ses contemporains Stockhausen, Boulez et Berio. Mais il préféra suivre son chemin quitte à être désavoué par ses proches. Sa Kammersonate (sonate de chambre) est l’œuvre d’un jeune homme de vingt-deux ans encore influencé par la modernité triomphante d’après-guerre, celle de Fortner, Leibowitz et des cours de Darmstadt. Créée en 1950, révisée en 1963, elle s’organise en cinq parties. L’Allegro assai propulse les trois instruments d’un pas décidé vers une même direction sur une mesure bancale de 7/8. Après ce qui pourrait passer pour une brève introduction, le mouvement Dolce, con tenerezza commence par une succession d’accords mystérieux du piano précédant l’entrée des cordes avec sourdines qui dessinent un mouvement mélodique en forme d’arche. Le Lento accorde fortissimo le premier rôle aux cordes avant que le tempo s’accélère (Allegretto). Ce trio s’achève par un Epilogue dynamique comme le premier mouvement et s’éteint pianissimo sur un point d’interrogation.
Disparu lui aussi l’an dernier, le 4 décembre, Jonathan Harvey passait pour le plus français des Britanniques par sa maîtrise de la couleur et du timbre. Actif dans tous les domaines, de la musique de chambre à l’opéra en passant par la création électronique, Harvey fut très tôt préoccupé par des considérations mystiques. Il compose ainsi en 1998 Death of Light, Light of Death inspiré par le célèbre Retable d’Issenheim de Matthias Grünewald exposé à Colmar. Harvey dessine ces Three Sketeches (Trois Esquisses) à l’attention de la violoncelliste Frances-Marie Utti parallèlement à la composition d’un concerto pour la même soliste. Ce triptyque d’une dizaine de minutes sera entendu à Berlin en 1991. Violoncelliste de formation, Harvey explore les possibilités de l’instrument, n’hésitant pas à en changer l’accord pour obtenir les effets sonores les plus variés.
1840 est l’année du lied, 1841 celle de la symphonie et 1842 celle de la musique de chambre : Schumann compose ses trois quatuors à cordes opus 41, le quatuor avec piano opus 47 et le présent quintette avec piano opus 44. Notons que ces deux dernières pièces partagent la tonalité de mi bémol majeur, celle de la symphonie Héroïque de Beethoven. Sans en tirer des conclusions trop rapides et hasardeuses, il faut bien reconnaître le ton puissamment symphonique du premier mouvement du quintette qui emprunte ensuite une marche funèbre comme Beethoven ! Rapidement composé à Leipzig, en septembre 1842, le quintette connut le succès dès sa création en janvier de l’année suivante : Clara, l’épouse du compositeur, pianiste réputée dans toute l’Europe, participa à l’événement et contribua à la notoriété de cette musique dont elle fut une des avocates les plus convaincues. Il faut dire qu’elle commence par un élan irrésistible, un Allegro brillante soutenu forte par tous les instruments. Après un passage plus méditatif au piano, le violoncelle fait entendre une merveilleuse cantilène qui servira de second thème. Dans le développement, le piano poursuit une course quasi ininterrompue en croches et prend des airs de soliste dans un concerto. Le pas lourd et l’allure processionnelle du deuxième mouvement In modo d’una marcia (à la manière d’une marche funèbre) sont assurés par un geste mélodique hésitant, heurté de nombreux silences et orientés vers des notes graves. Mais à ce do mineur sur lequel plane l’ombre menaçante de Beethoven succède un lumineux do majeur dominé par la tendre voix du violon en longues notes (blanches et rondes) tenues au-dessus de l’accompagnement des autres instruments. Au retour de la marche succède une troisième idée, tourmentée et typiquement romantique dans son Agitato en fa mineur. Reviennent ensuite les deuxième et premier thèmes avant le scherzo, Molto Vivace, dans la tonalité de mi bémol majeur, propulsé par de vigoureuses gammes-fusées. Cette ambiance trépidante est interrompue par un premier trio marqué par le tendre lyrisme des cordes sur le mouvement perpétuel du piano. Retour du premier thème puis second trio (événement rare !), comme dans les deux premières symphonies de Schumann, zébré par les doubles croches des archets. Loin du simple morceau de bravoure que concèdent parfois les compositeurs, le finale étourdit par la vigueur de ses idées et de leurs oppositions. Il débute par un arpège en mode mineur au piano et s’achève par un fugato où se combinent les thèmes principaux du finale et du premier mouvement.