10 mai 2013
Les interprètes : Quatuor Ardeo, Lise Berthaud, Ismaël Margain
Le quatuor Ardeo est à l’honneur au festival de Deauville en ce vendredi 10 mai 2013. D’abord seules, les quatre jeunes femmes de la formation nous livrent la primeur du 1er Quatuor à cordes du prometteur François Meïmoun. Œuvre d’une dizaine de minutes opposant le violoncelle aux trois autres instruments, le quatuor nous prouve, si besoin était, la vitalité d’un genre qui attire toujours autant les bonnes volontés désireuses de se frotter à un format qui met le compositeur à nu. Deux quintettes venaient compléter la soirée, l’un avec piano, l’autre avec alto. Deux œuvres que tout oppose par ailleurs : la fluidité, le côté impalpable du piano fauréen, magnifiquement servi ici par Ismaël Margain, face au caractère plus tranché et affirmatif du quintette à cordes de Brahms. Pourtant très critique envers lui-même, le compositeur tenait l’œuvre en haute estime puisqu’il songea même un instant à ne plus tenter le diable par la suite en s’arrêtant à la réussite de cet Opus 111 (révérence à Beethoven et à sa 32e Sonate pour piano).
En guise de mise en bouche, une courte Elegy d’Elliott Carter, compositeur qui avait disparu quelques mois plus tôt, à l’instar de Henze et Harvey mis à l’honneur lors de précédents concerts de cette 17e édition du festival. Ayant connu de multiples versions pour toutes les combinaisons instrumentales possibles, c’est à l’alto et au piano qu’elle sera donnée ce soir. Du cousu main pour Lise Berthaud, une de nos meilleurs altistes actuels.
Disparu en fin de l’an passé comme Henze et Harvey, Elliott Carter restait depuis des années le doyen des compositeurs en activité. Il attendit quatre-vingt-dix ans pour aborder l’opéra et mourut à cent trois ans, dix jours après la création de sa dernière œuvre le 25 octobre à La Scala de Milan, Dialogues II pour piano et orchestre. Considéré comme très européen par sa culture et son style, ce New-Yorkais défendu par Boulez a embrassé tous les genres, de la musique pour instrument solo à l’orchestre. Parmi ses premières compositions figure son Elegy d’abord dédiée, en 1939, au violoncelle et au piano avant de l’adapter au quatuor à cordes en 1946, à l’orchestre à cordes en 1953 et enfin à l’alto et au piano en 1961. Carter devait donc avoir une tendresse particulière pour ces quatre minutes de musique recueillie mais jamais sentimentale.
« J’ai commencé la musique pour composer » explique François Meïmoun. Après un brillant parcours au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, il entreprend à l’Ecole des Hautes Etudes des recherches sur l’évolution du langage du jeune Pierre Boulez. Les éditions Aedam Musicae ont ainsi publié ses travaux sous le titre Pierre Boulez : la naissance d’un compositeur. D’une durée d’environ huit minutes son Quatuor I oppose souvent le violoncelle aux trois autres archets. C’est d’ailleurs lui qui ouvre la partition sur un ré grave auquel répondent les trois instruments par des questions dans l’aigu. La musique s’accélère alors brusquement en un mouvement où chaque partie semble conserver son indépendance. Régulièrement soumis d’attaques de pizzicatos Bartók (la corde claque sur le manche de l’instrument), le quatuor s’interrompt brutalement comme en pleine course.
Qui considère Fauré comme un compositeur secret, difficile à cerner car peu enclin aux confidences et aux déclarations fracassantes, risque d’affirmer son jugement en écoutant son quintette n° 1. Il est en effet difficile de retenir après une première audition une mélodie particulière, un air à la carrure puissante capable de marquer les esprits. Il semble que Fauré lui consacra plus de quinze ans depuis des esquisses, contemporaines du célèbre Requiem (la fin des années 1880), jusqu’à l’achèvement fin 1905, année à laquelle il prend la direction du conservatoire de Paris. Cet opus 89 sera créé à Bruxelles le 23 mars1906 par le Quatuor Ysaÿe et Fauré au piano. Construit en trois parties, ce quintette laisse la part belle aux cordes, le clavier n’ayant pas, loin de là, la place qu’on put lui accorder Schumann, Brahms et Franck. Il commence par un Molto Moderato marqué par des allées et venues pianissimo en triples croches des mains gauche et droite du piano qui tissent un mystérieux voile. Flotte au-dessus une mélodie d’une infinie tendresse, Dolce e cantando, du second violon. Le second sujet, fortissimo et Espressivo, est énoncé par les cordes. Mais, aux traditionnels contrastes attendus dans une telle forme, Fauré préfère la continuité et le prolongement de la rêverie. Ce n’est pas l’Adagio qui la bousculera : malgré un changement de mesure et de tonalité, le piano continue à distribuer ses rythmes réguliers aux deux mains tandis que le premier violon fait entendre le thème principal, piano et cantabile. S’il évite comme les deux mouvements précédents, les grands écarts, le finale dessine une mélodie plus facile à mémoriser, à l’allure presque badine, présentée dans un débit quasi régulier (des noires et quelques croches). Le ton cependant plus ambigu qu’affirmatif, marqué par la mélancolie malgré l’accélération progressive des dernières mesures.
On ne peut imaginer contraste plus singulier avec la musique qui précède. A l’effacement de Fauré répond l’autorité de Brahms. Dès la deuxième mesure, l’auditeur a tout de suite en tête une idée forte et franche, énoncée forte par le violoncelle : un aller et retour à partir de la tonique sol tandis que les autres instruments papillonnent. Le compositeur destinait en fait ce début à une symphonie n° 5 qui ne verra jamais le jour : cela explique l’ampleur orchestrale du traitement des cinq instruments. Le second thème, plus rêveur et détendu, revient au premier alto. Le développement joue sur des idées nouvelles notamment des oppositions de mouvements ascendants et descendants des différents instruments. L’Adagio, en ré mineur, est conçu comme une série de quatre variations sur un thème exposé d’emblée par le premier alto : c’est un motif de quatre notes, aussitôt repris et brodé en huit notes, aux accents nostalgiques irrésistibles. Le troisième mouvement, Un poco Allegretto, pourrait passer pour un intermède triste, dominé par la figure du premier violon et la répétition douloureuse, presque suppliante, d’un demi-ton descendant. La tonalité mozartienne de sol mineur, celle de la célèbre symphonie n° 40, lui confère un caractère énigmatique : mais la partie centrale en sol majeur et aux accents presque rustiques dissipent un temps les nuages. Comme souvent, Brahms conclut par un finale au déhanché évocateur d’une danse d’Europe centrale. Composé par un Brahms de cinquante-sept ans, en 1890, ce quintette étonne par son ardeur juvénile.