23 avril 2016
Les interprètes : Ensemble Ouranos, L' Atelier de musique, Augustin Dumay, Simon Guidicelli, David Walter, Marc Minkowski
Munich en 1781 ou Vienne en 1874 ? S’agit-il d’un cadeau de mariage de Mozart à son épouse Constance ?Aux questions de l’histoire, préférons quelques réponses sur la désignation de cette merveille. Si la sérénade tire son origine de la mélodie fredonnée le soir pour séduire la belle à sa fenêtre, elle devient à partir du XVIIe siècle une musique instrumentale de divertissement ou de circonstance (mariage, anniversaire). Si elle peut se destiner exclusivement aux cordes (Serenata notturna ou Petite musique de nuit de Mozart), elle évolue le plus souvent autour d’un noyau d’instruments à vent (hautbois pour la mélodie, cors et bassons pour la basse), plus aptes à sonner en plein air. La sérénade peut contenir une dizaine de mouvements et atteindre,
exceptionnellement, une petite heure. La présente approche les cinquante minutes ce qui lui vaut son titre de « Gran Partita », la partita désignant une suite de danses stylisées. Mozart la construit en sept mouvements
(dont deux menuets) et la confie à un effectif peu ordinaire. Il ajoute en effet à l’octuor « de base » (paires de hautbois, clarinettes, bassons et cors), deux cors de basset, parent de la clarinette à corps cassé, terminé par
un large pavillon, et une seconde paire de cors. A ces douze instruments, se joint une contrebasse, destinée à asseoir l’harmonie. Grande par ses proportions et son effectif, cette sérénade l’est également par son inspiration qui en fait un des chefs-d’œuvre du genre dépassant de très loin le simple objet de distraction ou la sonorisation champêtre. En plus de la grâce toute mozartienne des thèmes (l’inoubliable mélodie de hautbois s’élevant au-dessus du balancement des instruments à anches dans l’Adagio, par exemple), cette sérénade se distingue par une utilisation moderne des timbres instrumentaux (association, opposition, différentiation dans la romance) et une écriture élaborée (les variations du sixième mouvement). Mozart aimait les instruments à vent et savait les mettre en valeur. Ses concertos pour piano et ses opéras le rappellent.
Les concertos pour violon de Mozart n’ont pas la même cote d’amour que ses concertos pour piano. Ils passent encore souvent pour des pages secondaires, signées par un Mozart de dix-neuf ans qui ne s’était encore trouvé. Le compositeur cède en effet à la mode galante d’alors mais il sait déjà apposer son empreinte. Des cinq concertos, tous écrits à Salzbourg en 1775, sans doute à son attention puisqu’il était alors premier violon de l’orchestre de l’archevêque Colloredo, lui-même violoniste, le concerto pour violon n° 3 figure parmi les plus inspirés : il instaure en effet des échanges intenses entre le soliste et l’orchestre, met en valeur les instruments à vent (les deux hautbois cèdent la place à deux flûtes dans le mouvement lent) et travaille le galbe des phrases mélodiques. Il s’ouvre par un allegro franc dont le premier thème, construit sur l’accord parfait, énoncé d’emblée avec assurance par tout l’orchestre. Le second revient aux vents. Les premiers violons, accompagnés de guirlandes de doubles croches régulières des seconds violons et des altos, tous munis de sourdines, et ponctués des pizzicatos des cordes graves, présentent le thème principal de l’adagio central au lyrisme à la fois tendre et pathétique : ce pourrait être un air d’opéra. Le violon s’en empare aussitôt pour le faire voyager dans différentes tonalités avant de se lancer dans un épisode soliste. Le rythme ternaire et l’humeur résolument joyeuse, allegro, du rondeau final dissipe toute ambiguïté. Nous voilà revenu dans le ciel sans nuage du premier mouvement. Mais Mozart étant Mozart et non un tâcheron, il ose emprunter des détours qui ne cessent de surprendre : qui aurait pu prévoir cet épisode andante à 2/2 ponctué de pizzicatos, ce passage aux accents fortement rustiques ou cette fin sur la pointe des pieds ?
Schubert avait également dix-neuf ans quand il composa sa symphonie n° 5. D’humeur insouciante et de texture légère puisqu’elle omet les clarinettes, les trompettes et les timbales (pourquoi ?), elle fut longtemps une des rares à être enregistrées en plus des deux dernières, l’« Inachevée » et la « Grande », de couleur autrement plus sombre. En plus de l’âge, Schubert partage avec Mozart un don mélodique inépuisable qui se déploie dès les premières mesures. Accords lumineux des vents, cascade des premiers violons aussitôt suivie par la mélodie principale installée sur les trois notes de l’accord comme dans toute bonne composition classique : l’hommage aux aînés est manifeste. Mais il ne faudrait pas risquer d’improbables parallèles même si le menuet rappelle, par ses premières notes et sa tonalité de sol mineur la symphonie n° 40 de Mozart.
La principale caractéristique de cette symphonie n’est cependant pas d’évoquer untel ou untel mais de présenter un Schubert joyeux que l’image d’un être profondément mélancolique, solitaire et hivernal a fini par faire oublier. Devinerait-on spontanément l’auteur de cette musique ensoleillée ? Singulière dans l’œuvre du compositeur, cette pièce se distingue aussi de la musique de son temps : par son orchestration, on l’a dit (une seule flûte, pas une paire) mais aussi par sa concision puisqu’elle évite de longs développements. Après ce premier temps gracieux, l’andante con moto maintient les nuages à distance même si la mélancolie n’est pas totalement exclue. Le menuet mené, allegro molto, sans hésitation et avec noblesse, inscrit en son centre un trio (sol majeur) à la tournure populaire comme dans les symphonies de Haydn. La symphonie s’achève par un finale allegro vivace construit sur deux idées, l’une enjouée et impatiente, l’autre plus étale et lyrique, ponctué de nombreux silences qui dynamisent plus qu’ils ne brisent son élan.