6 août 2016
Les interprètes : David Petrlik, Amaury Coeytaux, Yan Levionnois, Guillaume Vincent, Guillaume Bellom
C’est durant l’été 1915, alors qu’il travaille à ses études pour piano que Debussy entreprend une série de six sonates pour divers instruments dont l’intitulé comme le nombre renvoie directement aux recueils du XVIIIe siècle, ceux de Couperin, Rameau et des « vieux clavecinistes » qui avaient « le
secret de cette grâce profonde, de cette émotion sans épilepsie » comme il l’écrira à un ami. Le héraut de la musique moderne ressent ainsi le besoin de revisiter les anciens au soir de vie : il n’a pourtant que cinquante-trois ans mais souffre depuis plusieurs années d’un cancer du rectum qui l’emportera. Il veut honorer le patrimoine français en cette période de guerre et marquera d’ailleurs sur la partition : Claude Debussy, musicien français.
La maladie l’empêchera de mener à bien son projet, l’abandonnant à mi-parcours. Il composa en effet une sonate pour violoncelle et piano, une sonate pour flûte, alto et harpe et la présente sonate pour violon et piano. Achevée en avril 1917 alors que le compositeur révise les six sonates pour violon et clavecin de Bach (signe que son patriotisme acharné avait ses flexibilités), elle sera créée le 5 mai salle Gaveau, au profit de l’association Pour le Foyer du soldat aveugle. Gaston Poulet tient le violon et Claude Debussy le piano : ce
sera une de ses dernières apparitions publiques.
Qui considère, à tort, Debussy comme un compositeur impressionniste, auteur d’une musique aux contours volontairement flous, sera surpris par la netteté de trait de la sonate. Elle commence en effet, allegro vivo, par une figure descendante (un arpège de tonique) au violon au-dessus d’accords stables du piano : ces six premières notes reviendront plusieurs fois comme un pilier qui stabilise l’édifice. Le second thème, également présenté par le violon, se concentre sur des notes conjointes et des croches régulières, alors que la main droite du piano balaie de larges arpèges.
S’il est difficile de caractériser ce premier mouvement, le deuxième, nommé à raison, intermède, contraste par son caractère « fantasque et léger » que demande le compositeur. Le violon est en effet amené à exécuter de nombreuses acrobaties et adopte souvent un ton goguenard. Un second sujet, présenté conjointement au violon et au piano, en notes pointées, « expressif et sans rigueur » se montre plus grave.
Le finale, « très animé », n’a rien d’un chant du cygne mais s’apparente plutôt à un mouvement perpétuel qui débute par une citation du premier thème de l’allegro vivo. Serait-ce un ultime sursaut de vie ?
Quand, en 1847, Schumann entreprend la composition de ses deux trios, l’opus 63 et l’opus 80, il a déjà entassé, cinq ans plus tôt, des trésors de musique de chambre (ses trois quatuors, son quatuor et son quintette avec piano) même si l’essentiel de sa musique va à son seul instrument, le piano. Il vit désormais à Dresde et a déjà ressenti les signes de la dégradation de sa santé mentale. Ce trio, dont l’écriture sera interrompue par celle de l’opéra Genoveva et de la musique de scène du Manfred de Byron, n’en porte
pourtant aucune trace et se montre, au contraire, plutôt avenant.
Le premier mouvement, sehr lebhaft (très animé) s’ouvre vaillamment par le violon et le violoncelle à l’unisson, ballottés par une musique aux appuis souvent instables. Après une accélération des deux instruments à cordes en notes répétées, le violon fait entendre le second thème, régulier et stable, en notes conjointes tandis que le piano déploie ses arpèges.
Le mouvement lent crée un contraste saisissant et s’oriente vers une expression intérieure comme l’indique la partition (mit innigem Ausdruck) qui n’exclut pas quelques brefs épisodes tourmentés. Le violon qui a présenté le thème principal fera entendre une autre idée, plus sinueuse. A la place du traditionnel scherzo, Schumann glisse un intermède « dans un mouvement modéré » (Im massiger Bewegung) qui fait entendre une mélodie en canon qui peut paraître aussi bien désinvolte que nostalgique.
Le finale sollicite les trois instruments pour échafauder son sujet principal : un mouvement legato au piano, des notes détachées au violoncelle et une idée affirmée par le violon. Mais il faut bien le reconnaître, la construction complexe de ce mouvement ne se laisse pas facilement deviner à la première écoute et laisse une impression de mouvement sans fin, un peu comme la sonate de Debussy.