Robert Schumann
Faut-il en faire l’un de ses signes de sa folie, toujours est-il que Schumann a abordé les différents genres musicaux les uns à la suite des autres. Après avoir à vingt ans fait le choix de consacrer sa vie à la musique (et renoncé au droit au grand désespoir de sa pauvre mère), le musicien cherche d’abord à devenir un virtuose du clavier auprès de Friedrich Wieck, professeur réputé dans tout Leipzig et père de la toute jeune Clara, de neuf ans la cadette de Robert. A vouloir trop muscler ses doigts, il est bientôt victime d’une paralysie de la main droite qui le fait se jeter à corps perdu dans la composition, en plus d’une intense activité éditoriale (fondateur de la Neue Zeitschrift fur Musik en 1834, il en rédige presque seul tous les articles pour un rythme de parution bihebdomadaire !). Cette décennie 1830 est alors celle des œuvres pour piano, où Schumann, tout en se frottant avec un mélange d’humilité et d’originalité aux genres classiques (trois sonates, Etudes symphoniques, Etudes d’après Paganini), livre le meilleur de lui-même dans des cahiers à la forme inédite, souvent inspirés par la littérature (Jean-Paul, Hoffmann, Novalis…), et où se reflète l’âme déjà tourmenté du musicien : Papillons, Carnaval, Davidsbündlertänze, Phantasiestücke, Kreisleriana, Novellettes, Humoresque…
En 1840, c’est la libération : après trois ans de combat, les tribunaux font plier l’intransigeant Wieck en considérant la morale et les finances de Robert suffisantes pour épouser Clara. Il compose cette année-là près de cent-quarante lieder, avant de se tourner vers l’orchestre en 1841 et de jeter toutes ses forces dans la musique de chambre en 1842. Naissent ainsi successivement les trois quatuors à cordes de l’opus 41, hommage à la récente série de Mendelssohn, voisin leipzicois et soutien actif du couple Schumann, le quintette avec piano opus 44, le quatuor avec piano opus 47, les Phantasiestücke pour trio avec piano. En 1843, son oratorio Le Paradis et la Péri rencontre un franc succès : même Wieck est convaincu du talent de Robert (qui dirige alors pour la première fois) et propose d’enterrer la hache de guerre. Entre deux grossesses, la carrière de pianiste de Clara se fait désormais en pointillés… mais des pointillés bien utiles pour renflouer les caisses d’un ménage plutôt dépensier, installé à Dresde en 1844 après l’échec de Robert dans sa tentative de succéder à Mendelssohn à la tête du Gewandhaus de Leipzig.
La santé et la raison de Schumann commencent alors à vaciller de plus en plus, malgré des phases d’euphorie créatrice stupéfiantes, comme en 1849, annus mirabilis dans tous les genres (lieder, piano, musique de chambre…). Le compositeur sait qu’il doit se hâter de « créer tant qu’il fait jour », le nouveau déménagement à Düsseldorf (pour prendre pourtant la position plutôt enviable de directeur musical de la ville) se soldant rapidement par un échec manifeste. Contraint à la démission, atteint de troubles de la parole de plus en plus fréquents, victime d’hallucinations, épuisé, le musicien se jette dans le Rhin au matin du 27 février 1854, avant d’être interné dans l’asile d’Endenich près de Bonn où il finira tristement ses jours deux ans plus tard.