11 août 2017
Les interprètes : Quatuor Hanson, Amaury Viduvier, Jean-Paul Gasparian
Frédéric Chopin (1810-1849)
Ballade n° 3 opus 47
Le terme de ballade prend ses racines dans la poésie lyrique médiévale, piquée d’accents épiques et héroïques. Le lied allemand s’en inspire directement. Quand Frédéric Chopin compose ses ballades (quatre au total, entre 1831 et 1842), il crée un nouveau genre que Franz Liszt, Johannes Brahms, Edvard Grieg, Gabriel Fauré, Claude Debussy ou Samuel Barber adopteront. Si la ballade n’a pas d’architecture strictement définie, celles de Chopin se construisent sur deux thèmes bien distincts et s’approchent du plan de la sonate. Ces pièces, de forme développée, comme les scherzos
et à l’inverse des valses, mazurkas, nocturnes, préludes et autres études,
subissent l’opposition dramatique de ses idées, de leur transformation, de leur torsion, et bouillonnent d’une véritable fièvre narrative. Elles ne peuvent
cependant pas prétendre à une quelconque mise en musique d’un texte ou d’un poème, à la différence des nombreuses pièces « à programme » de Liszt, même si le nom du poète polonais Adam Mickiewicz, également exilé, est souvent suggéré. Les quatre ballades de Chopin durent entre huit et douze minutes et adoptent des rythmes ternaires. La Ballade n° 3 en la bémol majeur opus 47 semble sereine et paisible. Elle débute par un premier sujet, ascendant, au rythme irrégulier à 6/8 qui est amplement développé et commenté par des traits sautillants de la main droite (double croche-croche) qui l’entraîneront très vite dans le haut du clavier, dans l’extrême aigu. Après une brève interruption, la seconde idée apparaît, sorte de claudication amusée où syncopes et silences se chamaillent. Après un intermède durant lequel la lumière décroît, puis de grands traits ascendants de la main gauche, le thème principal revient, triomphant, couronné d’impressionnantes descentes de gammes chromatiques. Une succession de traits virtuoses achemine la musique une ultime gamme descendante que ponctuent quatre accords compacts.
Johannes Brahms (1833-1897)
Sonate pour clarinette et piano opus 120 n° 1
C’est à l’intention de Richard Mühlfeld, membre de l’orchestre de Meiningen (voir programme du 29 juillet) que Brahms compose ses deux sonates pour clarinette, après le trio op. 114 et le quintette op. 115. Il est alors à Bad Ischl, cette station thermale autrichienne qui lui est chère, en cet été 1894. Ces deux sonates apportent sa dernière contribution à la musique de chambre et
figurent parmi les plus belles pages du répertoire pour clarinette. La sonate n° 1 en fa mineur s’ouvre, allegro appassionato, par de puissants accords du piano qui préparent l’entrée de la clarinette et du premier thème, sinueux et mélancolique. Après un épisode de transition, le second thème, plus dynamique, puise son énergie dans ses rythmes pointés. Centre expressif de la sonate, le mouvement lent, andante un poco adagio, est un trésor de tendresse. Il commence par un thème légèrement descendant, présenté par la clarinette en valeurs de plus en plus courtes : noire pointée, croche, doubles et triples croches. Brahms le répète, comme une prière. Une section centrale se déploie sans direction précise, comme enroulée dans les guirlandes de doubles croches du piano. Puis la première partie, ornée et commentée, fait son retour. L’allegretto grazioso, à trois temps, fait office d’intermède. A une première partie mélodique, dominée par la clarinette, succède une autre, ouverte par des décalages et des syncopes des deux mains du pianiste. La sonate s’achève par un vivace en fa majeur (elle avait commencé en fa mineur). D’abord un thème insouciant, presque narquois, à la clarinette, qui fera office de refrain et deux couplets, l’un tranquille à la clarinette, l’autre, calme, au piano. Le retour triomphal du refrain assure une conclusion lumineuse.
Béla Bartók (1881-1945)
Quatuor à cordes n° 2 opus 17 Sz 67
Quand, en 1915, Bartók entreprend son quatuor n° 2, il a récemment composé son opéra Le Château de Barbe-Bleue (la création attendra 1918), son ballet Le Prince de bois et de nombreuses pièces pour piano inspirées par les folklores roumains et hongrois. Si certaines œuvres antérieures reflètent
l’influence de Richard Strauss et Claude Debussy, le quatuor n° 2, achevé en 1917, témoigne d’une évolution vers un langage plus personnel, comme la suite pour piano, marquée par la musique populaire arabe. Construit en trois
mouvements, le quatuor encadre un mouvement rapide de deux épisodes lents. Il commence par un moderato à la texture dense où il n’est pas très facile de distinguer les deux thèmes. Le premier est dessiné dès la deuxième mesure par le premier violon et fait se succéder deux quartes ascendantes et une seconde mineur descendante. La musique donne plus l’impression d’une
perpétuelle évolution que d’une opposition claire entre deux idées. Le
mouvement laisse une impression d’inachevé, comme s’il restait en suspens. L’allegro molto capriccioso rappelle par son énergie farouche, sauvage, indomptable, l’allegro barbaro pour piano et prend une forme de refrain et couplets. Au formidable travail sur le rythme (ostinato, notamment), Bartók explore le son (glissando, pizzicato, sourdine) et la matière, conférant au quatuor une texture quasi orchestrale. Après l’agitation extrême du mouvement central, le quatuor n° 2 se conclut par un lento particulièrement sombre qui joue de la raréfaction de la matière sonore. La musique semble improvisée, souvent trouée de douloureux silences et se termine sur deux pizzicati interrogatifs de l’alto et du violoncelle.