26 avril 2019
Les interprètes : Mi-Sa Yang, Shuichi Okada, Manuel Vioque-Judde, Mathis Rochat, Volodia van Keulen, Adam Laloum
ANTON BRUCKNER
Quintette pour deux violons, deux altos et violoncelle en fa majeur WAB 112
« Une oeuvre redécouverte du Beethoven de la dernière période, transfigurée par sa plus riche inspiration ». C’est en ces termes que le critique musical Theodor Helm parle de l’Adagio du quintette à deux altos d’Anton Bruckner en 1884, année de la première édition de l’oeuvre. Voilà qui résume le succès d’une partition inattendue, unique dans le catalogue de l’organiste et compositeur autrichien. Six ans plus tôt, Bruckner vient d’achever sa monumentale Symphonie n° 5 et il est plongé dans les retouches de la Symphonie n° 3. C’est alors qu’un violoniste réputé, Josef Hellmesberger, lui suggère d’écrire un quintette à deux altos. Le compositeur n’a pas l’habitude de satisfaire ce genre de commande. Cela fait plus de quinze ans qu’il n’a pas écrit d’oeuvre de musique de chambre ! Il accueille pourtant favorablement la proposition et s’attelle aussitôt à la composition, commençant par l’Adagio. À la vue du manuscrit et notamment du scherzo, le commanditaire se rétracte, jugeant l’oeuvre trop moderne. Peu importe : une autre équipe est constituée, qui crée le quintette en novembre 1881. Tout en legato retenu, le premier mouvement épouse une forme à trois thèmes principaux, véritable signature de Bruckner. Une mélopée sérieuse se déploie sur une note tenue du violoncelle, à la façon d’une pédale d’orgue. Après une transition achevée sur la pointe des pieds, le violoncelle introduit un motif fluide au rythme pointé indécis. Celui-ci contamine l’ensemble du quintette jusqu’à l’exaspération. Doux et très lyrique, le troisième thème apporte alors une détente bienvenue. Au coeur du mouvement, une section instable délaisse ce chant pour hésiter entre les deux premiers thèmes. La conclusion rattrapera ce déséquilibre, la mélodie douce se trouvant habilement combinée au rythme pointé de la deuxième idée. Le scherzo apporte un brusque changement d’atmosphère : le premier violon lance d’une appoggiature impertinente un motif sautillant. Bruckner écrit ensuite une page pleine d’humour : le discours s’enlise progressivement jusqu’à tourner en boucle. Le retour du thème agit comme un réveil soudain. Un trio contrastant insère une danse plus lente et rustique, au dessin mélodique sinueux. L’Adagio mélancolique brille ensuite par la tension infinie de son chant, dans la lignée des mélodies absolues beethovéniennes. L’émergence du second thème à l’alto, au-dessus du portato répété comme un battement de coeur, est un des instants les plus émouvants de l’histoire de la musique de chambre. Bruckner semble avoir eu lui-même conscience de la force de son Adagio, ouvrant ensuite son finale dans une transition pianissimo. Passant de mélodies aériennes à une écriture fuguée austère, ce dernier mouvement montre la maîtrise totale du compositeur. « Bruckner est depuis Bach le premier grand musicien absolu capable d’un style grandiose et d’une maîtrise accomplie », écrira August Halm en 1913. Le quintette ne peut qu’appuyer ce propos.
JOHANNES BRAHMS
Quintette pour piano et cordes opus 34 en fa mineur
En 1861, Johannes Brahms compose un quintette pour deux violons, alto et deux violoncelles,juste avant de gagner Vienne pour la première fois. La réaction de Clara Schumann est unanime : « Je ne sais comment te dire objectivement la grande joie que ton quintette m’a donnée. Quel monde de force il y a dans le premier mouvement, et quel adagio ! Quel chant de la première à la dernière note ! » Le célèbre violoniste Joseph Joachim renchérit : « Cette oeuvre est certainement de la plus haute importance. Les mouvements, considérés isolément, s’unissent en un tout parfait… » Ou presque. Joachim émet des doutes sur l’effectif instrumental choisi par Brahms, trop léger selon lui. Le compositeur va donc expérimenter une version pour deux pianos avant de trouver le juste milieu : le Quintette pour piano et cordes opus 34 est édité en 1865. Après un unisson interrogatif, le premier mouvement adopte un ton autoritaire. Hésitant autour d’une note, un chant sensible émerge à l’alto et au violoncelle. Un bref développement survient, clé de voûte d’une architecture très claire : les thèmes exposés initialement réapparaissent ensuite selon une symétrie parfaite. Dans la section finale, Brahms laisse un temps planer le mystère avant de conclure énergiquement. En guise de deuxième mouvement, le compositeur agence un Andante lyrique à la texture dense. Le piano et les cordes combinent leurs voix dans un contrepoint d’une grande souplesse rythmique, typiquement brahmsienne. S’ensuit un scherzo d’apparence fantastique : il démarre dans une brume syncopée avant d’éclater en tutti héroïque aux accents féroces. Brahms insère ensuite un épisode fugué étonnamment sérieux. Au centre de ce troisième mouvement, un choral lumineux fait office de trio contrastant. Particulièrement audacieux, le finale fait entendre une introduction lente extrêmement tendue. L’Allegro non troppo lance un refrain trépidant, vaguement inquiétant. Personnages secondaires et péripéties inattendues se succèdent jusqu’à une apothéose Presto non troppo. Le refrain y apparaît bouleversé ; le quintette se démultiplie pour conclure en un feu d’artifice spectaculaire.