17 avril 2021
Les interprètes : Shuichi Okada, Pierre Fouchenneret, Paul Zientara, Adrien La Marca, Jérôme Pernoo, Victor Julien-Laferrière
ARNOLD SCHÖNBERG (1874-1951)
La Nuit transfigurée pour sextuor à cordes opus 4
« Deux personnes vont dans le bois nu et froid ; la lune les accompagne, ils la regardent. » Les premières notes de La Nuit transfigurée plantent le décor musical en suivant fidèlement les premiers mots du poème éponyme de Richard Dehmel publié trois ans plus tôt, en 1896. Il en sera ainsi tout au long de l’œuvre d’Arnold Schönberg : les cinq parties qui s’enchaînent sans interruption correspondent aux cinq strophes du texte.Les strophes impaires, les plus courtes, sont celles du narrateur qui décrit le cheminement nocturne du couple. On y retrouve le même motif descendant, selon le même pas égal, mais son caractère change au fil de l’œuvre : lourde et mystérieuse dans la première strophe où l’on pressent un drame, l’atmosphère devient extrêmement tendue, ponctuée d’accents violents au centre du poème ; la marche deviendra miraculeusement légère et fluide à la fin de l’ouvrage. Ces changements de caractère sont dus aux strophes paires qui contiennent le dialogue entre l’homme et la femme. Celle-ci est la première à prendre la parole, pour un terrible aveu : elle attend un enfant qui n’est pas de son mari mais d’un autre homme, qu’elle a rencontré quand elle ne connaissait pas encore celui qui allait devenir son époux. Cette strophe est la plus violente de l’ouvrage et Schönberg use de tous les moyens musicaux pour le figurer : après l’aveu de la femme dans l’intimité tremblante des sourdines, les trémolos furieux se multiplient dans l’accompagnement, des motifs agités et dissonants s’affrontent en tous sens pour incarner le conflit intérieur qui ronge le couple. Un long temps de silence précède la réponse de l’homme. Entonnée par le violoncelle dans une tonalité claire, celle-ci apporte une résolution inespérée : « Une chaleur particulière vibre de toi à moi et de moi à toi ; elle va transfigurer le fils de l’étranger, tu enfanteras pour moi, comme s’il venait de moi. » L’obscurité devient chargée de lumière, les tensions glaciales laissent place à une chaleur vibrante. Pizzicati scintillants et autres arpèges figurent ce changement bienheureux qui semble affecter la nature qui entoure le couple, tandis que de nombreux dialogues amoureux fleurissent au sein du sextuor. Riche de multiples influences (les Tristan et Isolde wagnériens sont parfois tout proches), l’œuvre est d’autant plus belle qu’elle contient une part autobiographique : pendant l’été 1899, Schönberg passe des vacances à Payerbach avec son maître et ami Alexander von Zemlinsky. Il fait alors la connaissance de la sœur de ce dernier, Mathilde. Quelques semaines plus tard, il commence La Nuit transfigurée. Deux ans après, Mathilde prendra le nom de Schönberg.