23 avril 2022
Les interprètes : Jean Deroyer
ARVO PÄRT
IN SPE (2010)
C’est pour l’ensemble estonien de musique ancienne Hortus Musicus qu’Arvo Pärt compose en 1976 In spe. Dans cette première version de l’oeuvre, le compositeur donne aux quatre voix du choeur de simples onomatopées, sur les voyelles du Kyrie. L’atmosphère recueillie repose sur la technique minimaliste du tintinnabuli, un principe de composition mélodique très progressif : à partir d’une hauteur principale, la ligne se déploie lentement, note par note, suivant des intervalles montants ou descendants prédéterminés, au-dessus d’une ou plusieurs notes pédales.
Arvo Pärt remettra plusieurs fois sur le métier cette oeuvre lourde de sens pour lui. À l’occasion d’une nouvelle version, il la rebaptise en 1984 An den Wassern zu Babel saßen wir und weinten, d’après le Psaume 137 où les Juifs pleurent leur exil à Babylone ; le compositeur fait ainsi sans doute allusion à sa propre émigration depuis l’Union soviétique jusqu’à l’Autriche et l’Allemagne. La présente version date
de 2010 et le compositeur profite de l’effectif plus large (quintette à vent et orchestre à cordes) pour amplifier la progression logique de l’oeuvre en un vaste crescendo.
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WOLFGANG AMADEUS MOZART
SYMPHONIE N° 40 EN SOL MINEUR K . 550
Voilà déjà sept ans que Wolfgang Amadeus Mozart s’est installé à Vienne mais il n’a composé que trois symphonies… qui ont toutes été destinées à d’autres villes (Salzbourg, Linz et Prague) ! Fin juin 1788, un changement étonnant se produit : en l’espace d’un été, le compositeur élabore un triptyque symphonique qui représente encore aujourd’hui
un sommet du répertoire orchestral. Pourquoi Mozart se remet-il à écrire des symphonies ? S’agit-il, comme certains musicologues ont pu l’imaginer, d’un projet maçonnique ? On peut surtout supposer que le compositeur, alors en grande difficulté financière et préoccupé par les sérieux soucis de santé de son épouse, comptait les donner lors de
concerts à souscription afin d’envisager l’avenir avec plus de sérénité. Des trois symphonies écrites à cette époque, seule la n° 40 sera donnée en public du vivant de Mozart. Il s’agit d’une des deux seules symphonies du compositeur écrites dans une tonalité mineure, et pas n’importe laquelle : dans le répertoire mozartien, le ton de sol mineur incarne les
drames les plus sérieux, les angoisses les plus sombres. À la fois héritage du Sturm und Drang et prémices du romantisme musical à venir, le premier mouvement prend l’auditeur à la gorge pour ne plus le lâcher. Son thème d’ouverture, entre croches frénétiques et motif haletant,
fait figure de cavalcade désespérée, ponctuée par de larges accords aux allures de coups de tonnerre. La deuxième mélodie, nettement plus suave, n’en est pas moins perturbée par des chromatismes inquiétants. Le développement central est le lieu de violentes hostilités qui contaminent ensuite l’habituelle réexposition des thèmes, et le mouvement s’achève sans avoir apporté d’issue au conflit initial. Avec son doux balancement et sa tonalité claire de mi bémol majeur, le deuxième mouvement permet de trouver un semblant de calme, à peine perturbé par des lignes sinueuses. Le mouvement qui suit adopte la forme traditionnelle des menuets, mais ses pas lourds et les tensions qui s’introduisent jusque dans sa conclusion montrent que l’heure n’est pas à la danse. On retrouve dans le Finale la frénésie du premier mouvement, avec un sens des contrastes plus puissant encore. Une fugue achève bientôt de transformer l’oeuvre en course à l’abîme… Il
faudra attendre la symphonie suivante (« Jupiter ») pour apercevoir une éclaircie après l’orage.