30 avril 2022
Les interprètes : Le Consort, Théotime Langlois de Swarte, Sophie de Bardonnèche, Mathurin Bouny, Hanna Salzenstein, Hugo Abraham, Justin Taylor
WOLFGANG AMADEUS MOZART
CONCERTO EN RÉ MAJEUR POUR PIANOFORTE, DEUX VIOLONS ET VIOLONCELLE K. 107 (I), D’APRÈS LA SONATE OP. 5 N° 2 DE JOHANN CHRISTIAN BACH
Les musicologues ont longtemps cru que Mozart avait écrit ses trois Concertos K. 107 en 1765, à l’issue d’une tournée anglaise où le jeune prodige avait rencontré le très respecté Johann Christian Bach (fils de Johann Sebastian). Pour prolonger son apprentissage fructueux du style italien auprès de ce spécialiste en la matière, l’apprenti compositeur de huit ans aurait extrait trois oeuvres d’un recueil de six Sonates pour clavier du « Bach de Londres » et les aurait transformées en concertos. Si ce travail d’arrangement est avéré, il a été largement mésestimé :
d’une part car il eut lieu bien plus tard, entre 1770 et 1772, quand Mozart fit trois voyages en Italie qui l’amenèrent à renouer avec l’art de Bach ; d’autre part car le jeune compositeur fit bien plus qu’une simple orchestration pour un effectif léger. Dans ces trois Concertos, Mozart conserve les attraits du style italien (lyrisme des mélodies, discrétion de l’accompagnement, expressivité dynamique du pianoforte) mais il retravaille légèrement l’écriture harmonique et rythmique. Plus important encore, il remodèle la forme de l’ouvrage en ajoutant des cadences pour la partie soliste et des sections qui mettent en valeur les instruments à archet. Ainsi, le prodige pose les bases de son style pianistique et de ses oeuvres concertantes. Première partition du triptyque, le Concerto en ré majeur est le seul
à être organisé en trois mouvements. Dans l’Andante central, l’apport expressif des violons est manifeste, enrichissant l’harmonie et la texture générale, et la cadence soliste comporte des figures ornementales qu’on retrouvera dans bien des concertos futurs. Le menuet conclusif est plus
proche de la sonate originale, Mozart usant parfois de simples pizzicati discrets pour ponctuer la partie soliste.
SONATE EN UT MAJEUR POUR DEUX VIOLONS, ORGUE, VIOLONCELLE E T BASSE K. 328
Malgré une démission fracassante deux ans plus tôt, Mozart endosse en janvier 1779 de nouvelles responsabilités à la cour du princearchevêque de Salzbourg, ajoutant à son titre de Konzertmeister la fonction d’organiste. De cette année datent plusieurs compositions à destination de l’Église, toutes dans la tonalité lumineuse d’ut majeur (une Messe « du Couronnement » K. 317, des Vêpres du Dimanche K. 321…). Parmi ces pièces, la Sonate K. 328 en un seul mouvement propose une belle synthèse du style classique, entre la symétrie claire de la forme à reprises, l’élégance des ornementations et les traits virtuoses qui figurent la jubilation.
CONCERTO EN SOL MAJEUR POUR PIANOFORTE, DEUX VIOLONS ET VIOLONCELLE K. 107 (II), D’APRÈS LA SONATE OP. 5 N° 3 DE JOHANN CHRISTIAN BACH
Deuxième opus de la série K. 107, le Concerto en sol majeur reprend dans son Allegro un concept déjà présent dans le Concerto en ré majeur : la « double exposition » (aux violons puis au clavier) des éléments thématiques. Cette fois-ci, Mozart réserve cependant l’exclusivité du second thème au soliste, avant d’introduire de nouveaux motifs aux violons. Le thème et variations s’ouvre ensuite sur un geste inhabituel : le chant est exposé au premier violon et au clavier à l’unisson. Les variations reprennent largement celles de Johann Christian Bach, mais Mozart intervertit deux d’entre elles et ajoute des ornements aux violons, donnant à l’ensemble l’allure d’une conversation enlevée et pleine d’humour.
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FANTAISIE EN RÉ MINEUR POUR PIANOFORTE K . 397
Cette pièce composée par Mozart en 1782 donne l’impression d’entrouvrir la porte de l’atelier du compositeur et improvisateur : la Fantaisie K. 397 passe des larmes de son introduction pathétique au rire de l’Allegretto conclusif en passant par de nombreux silences, passages cadentiels et autres changements de tempo inattendus, suivant une forme libre qui ferait presque songer à un cahier d’esquisses. Le fait que Mozart a laissé inachevée cette pièce explique l’aspect bref et décousu de l’ensemble
mais la beauté des idées mélodiques et la maîtrise du langage pianistique en font une petite perle qui continue toujours d’étonner : ce soir, Justin Taylor jouera-t-il la traditionnelle version allongée de dix mesures qui permet à l’ouvrage de conclure en bonne et due forme, ou ajoutera-t-il sa propre improvisation ? Pour respecter les effets de surprise mozartiens, laissons la question en suspens !
CONCERTO EN MI BÉMOL MAJEUR POUR PIANOFORTE ET QUATUOR À CORDES K. 449
Plus de dix ans après son incursion dans le répertoire sur les traces de Johann Christian Bach, Mozart commence en 1784 une période riche en concertos pour piano – il n’en écrira pas moins de douze en trois ans ! Le projet est double pour le compositeur qui commence dans le même temps à tenir le catalogue de ses oeuvres : ces partitions doivent lui permettre d’affirmer son style original sur la scène viennoise, tout en lui servant de matière première pour des concerts à souscription qu’il espère fructueux… Premier opus de cette nouvelle étape dans la carrière de Mozart, le
Concerto K. 449 est « d’un type tout particulier », comme l’explique le compositeur à son père Leopold. En effet, l’Allegro vivace initial s’écarte bien vite de la quiétude lumineuse souvent associée à la tonalité de mi bémol
majeur pour plonger dans un monde foisonnant où le chemin mélodicoharmonique, heurté par de nombreux contrastes, suit des bifurcations inattendues. L’Andantino qui suit emprunte une voie comparable : Mozart étire ses phrases, ajoute çà et là des modulations expressives, se jouant des
carrures bien cadencées de ses prédécesseurs. D’une vivacité mesurée, le rondo conclusif adopte une écriture différente où règnent le contrepoint et l’imitation. De l’aveu même du compositeur, ce concerto s’adresse moins à
un grand orchestre qu’à un petit ensemble où les vents restent facultatifs, ce qui rend tout à fait possible une interprétation chambriste de l’ouvrage.