22 avril 2023
Les interprètes : Manon Galy, Anna Egholm, Paul Zientara, Violaine Despeyroux, Stéphanie Huang, Nathalia Milstein, Guillaume Bellom
GABRIEL FAURÉ
Quatuor pour piano et cordes n° 1 en ut mineur op. 15
« Musique nourrie de tant de sève, débordante de vie et de chaleur communicative. » Ces mots de la fameuse pianiste Marguerite Long, grande interprète de Gabriel Fauré qu’elle connut bien, conviennent parfaitement au Quatuor pour piano et cordes op. 15 : dès le début de l’ouvrage, les trois archets à l’unisson déploient en effet un thème palpitant, soutenu par une partie de piano foisonnante. Dans la suite du mouvement, cette phrase reviendra sous différents éclairages, différentes harmonies, adoptant aussi bien le charme nostalgique que l’autorité implacable – on reconnaît dans ces réapparitions et ces travestissements un geste compositionnel typique de la musique française de la deuxième moitié du xixe siècle, qu’on trouvait chez César Franck et qui se rencontrera jusqu’à Claude Debussy.
À l’heure où il commence à écrire son Quatuor op. 15, pendant l’été 1876, Fauré ne peut cependant pas s’appuyer sur beaucoup de modèles de son pays : la musique de chambre ne revient à la mode que depuis peu (la Société nationale de Musique, principal commanditaire de ce répertoire, n’a que cinq ans), et la plupart des quatuors pour piano et cordes sont germaniques (Mendelssohn, Schumann, Brahms) ; voilà qui explique peut-être le caractère mendelssohnien du Scherzo, fantastique ballet leggierissimo qu’on croirait rêvé lors d’une nuit d’été…
L’Adagio sombre voire funèbre nous fait ensuite basculer de la comédie à la tragédie. Doit-on y entendre le désespoir du compositeur lui-même, encore endeuillé d’une rupture douloureuse avec sa fiancée ? Les avis des spécialistes divergent. Quoi qu’il en soit, les nombreuses gammes ascendantes semblent répéter toujours la même question, espérer une issue qui ne viendra pas. Entièrement remanié par le compositeur en 1883, le finale reprend la gamme ascendante de l’Adagio et lui donne le caractère héroïque du premier mouvement, comme pour sonner la rébellion de l’artiste face au mauvais sort. Maître du suspense, Fauré dresse cependant plusieurs embûches sur le chemin du quatuor, retardant la conclusion pour la rendre plus spectaculaire encore.
CÉSAR FRANCK
Quintette pour piano et cordes en fa mineur, FWV 7
Dans le cadre de la Société nationale de musique, institution créée au lendemain de la guerre franco-prussienne pour cultiver l’art français, César Franck produit en 1880 un Quintette pour piano et cordes moins gaulois qu’on ne pourrait le croire. Premier du genre en France, l’ouvrage s’inscrit surtout dans la lignée des chefs-d’œuvre d’outre-Rhin, ceux du précurseur Robert Schumann et de son disciple et ami Johannes Brahms. Le quintette brahmsien et son homologue franckiste ont d’ailleurs bien des points communs, qu’il s’agisse du ton principal (le rare fa mineur, qui rend les cordes frottées plus mates que brillantes) ou du travail des textures : comme Brahms, Franck agence des oppositions rythmiques intenses qui donnent à sa partition une épaisseur plus orchestrale que chambriste.
Si l’on pense également à Schumann dès les premières notes (leur rythme cinglant rappelle la marcia de l’opus 44), la singularité de Franck ne tarde pas à se manifester : l’intensité du discours, les cordes régulièrement à l’unisson pour contrer la puissance virtuose du piano, les progressions chromatiques cultivant l’instabilité à l’intérieur d’une vaste architecture sonore font du Quintette FWV 7 une partition unique. Chacun des trois mouvements a son élément plus que son caractère : le premier frappe par son expressivité brute, ancrée dans la terre ; le deuxième, con molto sentimento, est parcouru d’un souffle mélancolique ; le troisième est une danse du feu qui commence sous la cendre du second violon avant d’embraser tout le quintette. Marque de fabrique franckiste, l’ensemble est unifié par des motifs mélodiques et rythmiques qui reviennent d’un mouvement à l’autre, tandis que les jeux de contrastes de timbres et dynamiques rappellent les caractéristiques expressives de l’orgue, instrument de prédilection du compositeur.
« Œuvre colossale », « unanimement admirée ». La presse française usera de superlatifs dès la fin du siècle pour qualifier l’ouvrage, même si certains émettront des réserves quant à la longueur des développements. Créé par le Quatuor Marsick et Camille Saint-Saëns, le Quintette rencontrera un large succès et sera rapidement considéré comme un fleuron de l’art français dans tous les salons et sociétés chambristes de l’Hexagone.