4 août 2017
Les interprètes : Omer Bouchez, Anthony Kondo, Guillaume Vincent
MAURICE RAVEL (1875-1937)
Trio pour violon, violoncelle et piano (1914)
« Malgré le beau temps, voici trois semaines que le trio n’avance pas et me dégoûte. Mais aujourd’hui, je me suis avisé qu’il n’était pas aussi nauséabond… et le carburateur est réparé » écrit Maurice Ravel depuis Saint-Jean-de-Luz. Compositeur reconnu grâce quelques merveilles orchestrales telles Daphnis et Chloé ou Ma Mère l’oye, il semble traverser une crise d’inspiration en cette année 1914. Il n’a rien écrit depuis les Trois poèmes de Mallarmé l’an passé. Aucun signe ne permet pourtant de détecter une quelconque panne ou problème mécanique dans son trio. Débuté en avril, il sera achevé fin août alors que la France avait décrété la mobilisation générale quatre semaines auparavant. Ravel avait voulu le terminer « avant de [s’]aller engager ». Si la rumeur de la guerre ne se perçoit pas dans le premier mouvement, modéré, elle cède la place à des inspirations basques marquées par des mesures irrégulières (8/8 qui se décompose en 3+2+3). Cette même année, Ravel avait essayé de composer un concerto pour piano Zagpiak-bat (allusion aussi sept provinces historiques du pays) sur thèmes populaires. Le piano introduit un thème mystérieux, presque résigné, que reprennent aussitôt à l’unisson les deux archets. Après une accélération des événements le violon puis le violoncelle et le piano font entendre la seconde idée principale, onirique, qui semble cueillie dans le Jardin féérique de Ma Mère l’oye. Malgré son titre, le deuxième mouvement ne suit pas rigoureusement la règle du pantoum, figure stylistique venue de Malaisie, reprise par Victor Hugo et Baudelaire, qui fait glisser les deuxièmes et quatrièmes vers d’une strophe à la première et troisième place de la suivante (ABCD, BEDF, EGFH, etc). Il présente un scherzo vigoureux et animé (assez vif indique Ravel) volontiers malicieux, organisé autour de trois idées. Ravel poursuit son exploration des formes éloignées, dans le temps et dans l’espace : il assujettit son troisième mouvement à la grave rigueur de la passacaille (très large), cette danse lente développée sur une basse obstinée qui apparaissait dans les tragédies lyriques de Jean-Baptiste Lully ou le clavecin de Louis Couperin. Le piano en trace la ligne descendante sur laquelle s’engagent aussitôt le violoncelle et le violon dans un même geste solennel. Doit-on y entendre la déploration des morts à venir comme dans le sombre Concerto pour la main gauche ? Ravel avoua avoir « traité [son trio] en œuvre posthume ». Le finale chasse pourtant les nuages par le déhanchement de ses mesures irrégulières (5/4 et 7/4) comme dans le premier mouvement et la virtuosité qu’il demande à chacun des trois interprètes.