Maurice Ravel
Ne jamais se répéter et faire de chaque œuvre un défi à surmonter. Telle pourrait être la ligne de conduite suivie par Maurice Ravel tout au long d’une carrière où la moindre page aura été ciselée avec une maîtrise confondante de son métier de musicien. Quelques semaines après sa naissance, la famille de Ravel quitte le pays Basque et s’installe à Paris où le jeune garçon ne tarde pas à faire montre d’impressionnantes dispositions musicales. Entré au conservatoire de Paris à quatorze ans, il y étudie avec Bériot (piano), Gédalge (contrepoint) et Fauré (composition). Alors que les premières pages qu’il signe attirent d’emblée l’attention sur lui (Jeux d’eau et Pavane pour une infante défunte pour piano, son unique Quatuor à cordes, digne de figurer aux côtés de celui de Debussy), ses échecs répétés au prix de Rome (cinq tentatives infructueuses…) agitent le milieu musical. Le scandale enfle : en 1905, Théodore Dubois doit démissionner de son poste de directeur du conservatoire (Fauré le remplacera) après l’exclusion en plein concours de Ravel (le compositeur avait alors atteint la limite d’âge). A la même époque, entre l’ondoyante Barque sur l’océan et la démonstrative Alborada del gracioso, le cycle des Miroirs fait entrer la musique française pour piano dans une nouvelle ère. Cette marche en avant conquérante se poursuit jusqu’au la guerre, avec les visionnaires et terrifiants poèmes pour piano de Gaspard de la Nuit, les truculentes Histoires Naturelles d’après Jules Renard, ou le chef d’œuvre de grâce enfantine qu’est Ma Mère l’Oye. Surtout, avec la Rapsodie espagnole et le ballet de Daphnis et Chloé, Ravel démontre qu’il est un orchestrateur aussi brillant que subtil, possédant une palette d’une diversité infinie. En 1914, le déclenchement des hostilités interrompt Ravel en plein travail sur son Trio avec piano. Trop frêle pour le service, le musicien fait des pieds et des mains pour prendre sa part au conflit et finira par se faire engager comme conducteur de camion. Démobilisé en 1917, il apprend alors la nouvelle de la mort de sa mère, tout en achevant son Tombeau de Couperin, une suite pour piano dans le goût ancien et dédiée à plusieurs de ses amis morts au front. Commandée par Diaghilev, La Valse refermera définitivement le chapitre de la guerre, en évoquant l’apocalypse joyeuse de la Vienne impériale dans un Requiem pour le monde d’avant aussi étourdissant que désespéré. La disparition de Debussy en 1918, son refus de la Légion d’Honneur en 1920, son installation à distance raisonnable du tumulte parisien à Montfort-l’Amaury en 1921 : Ravel cherche alors à s’isoler et s’oriente vers un style plus dépouillé comme dans la Sonate pour violon et violoncelle, tout en restant à l’écoute des courants musicaux qui agitent son époque (néo-classicisme, jazz). Son humour et son sens de la couleur orchestrale n’ont bien sûr pas quitté le compositeur, comme en témoignent la fantaisie irrésistible de l’opéra L’Enfant et les sortilèges ou l’expérience-limite que représente le Boléro. Au retour d’une triomphale année américaine en 1928, le musicien livre ses derniers chefs-d’œuvre avec ses deux concertos pour piano (le premier pour la main gauche de Paul Wittgenstein, le second pour celles de Marguerite Long) et les touchantes mélodies de Don Quichotte à Dulcinée, avant que les atteintes dues à des troubles neurologiques ne le condamnent au silence pour les dernières années de sa vie.