31 juillet 2018
Les interprètes : Quatuor Hanson, Brieuc Vourch, Shuichi Okada, Manuel Vioque-Judde, Adrien Bellom, Guillaume Vincent, Philippe Hattat
FRANZ LISTZ (1811 – 1886)
Vallée d’Obermann pour piano
Chef-d’œuvre extrait de la première des Années de pèlerinage de Franz Liszt (publiée en 1855), Vallée d’Obermann s’inspire du roman Oberman (1804) d’Étienne Pivert de Senancour. Le compositeur cite l’écrivain en épigraphe : « Que veux-je ? que suis-je ? Que demander à la nature ? » Le piano adopte une errance pensive qui se traduit par une succession de lignes mélodiques descendantes. Au cœur de l’œuvre, le récit s’emballe et devient de plus en plus passionné jusqu’à un presto jonché de trémolos. Le calme après la tempête, ponctué d’impressionnants silences, amène une reprise du cheminement initial qui prend progressivement un caractère glorieux. Comme le titre ne l’indique pas, c’est dans la forêt de Fontainebleau que ces rêveries du compositeur Liszt ont pris corps, ainsi qu’il l’avouera lui-même dans une lettre à la princesse Caroline de Sayn-Wittgenstein.
OLIVIER MESSIAEN (1908 – 1992)
Regard de l’esprit de Joie pour piano
Autre morceau de bravoure pianistique, le Regard de l’esprit de Joie est le dixième des Vingt Regards sur l’Enfant Jésus composés par Olivier Messiaen en 1944. Le compositeur a expliqué son intention : « L’âme du Christ, au cours de sa vie terrestre, a joui du privilège constant de la vision béatifique. Dieu est heureux, et le Christ possédait cette même joie, ce transport, cette ivresse spirituelle. Cette joie entraînait l’habitation permanente du Saint-Esprit : tel est le sens du titre de la pièce. » Celle-ci s’ouvre sur un chant grégorien associé à Pâques. Il est cependant rendu méconnaissable, transformé en « danse orientale » par une écriture rythmique frénétique dans l’extrême grave du clavier. Un développement conduit au « thème de joie » à l’irrésistible mouvement ascendant mais, sitôt esquissé, il cède sa place à une fanfare enthousiaste accompagnée d’arpèges dans l’aigu. Répété avec ferveur, le thème de joie conclut l’œuvre dans un feu d’artifice virtuose.
DMITRI CHOSTAKOVITCH (1906 – 1975)
Deux Pièces pour octuor à cordes opus 11
Achevées par un compositeur de dix-huit ans en fin d’études au Conservatoire de Petrograd, les Deux Pièces pour octuor à cordes opus 11 montrent la maîtrise précoce dont Dmitri Chostakovitch fait preuve en matière d’orchestration. Tout d’abord lent, sinueux et envahi par les chromatismes, le prélude offre ensuite un thème tendre à l’alto, doucement balancé par les triolets des violons en sourdine. Une section centrale apporte un contraste radical : l’écriture sautillée, les imitations claires, l’atmosphère surnaturelle rappellent alors l’esprit scherzando de Mendelssohn, également auteur d’un octuor de jeunesse un siècle plus tôt. Après une cadence virtuose du premier violon, le retour de la partie lente referme le prélude. Un scherzo complète ensuite le diptyque. Le style n’est alors plus mendelssohnien : Chostakovitch signe une perle de mécanique musicale à l’humour grotesque et grinçant, orchestrant la chevauchée spectaculaire des huit instrumentistes qui multiplient les glissandos jusqu’à la chute finale. ***
ROBERT SCHUMANN (1810 – 1856)
Quintette pour piano et cordes opus 44
Robert Schumann a élaboré son Quintette pour piano et cordes opus 44 en six jours, du 23 au 28 septembre 1842. Ce tour de force est d’autant plus admirable qu’il existe alors peu d’œuvres pour cette formation. Le compositeur pose les fondations d’un genre auquel bien des romantiques prêteront leur plume (Brahms, Dvořák, Franck, Fauré…). Véritable concerto de chambre pour piano, l’œuvreest conçue pour Clara, femme de l’auteur et pianiste virtuose. L’architecture en quatre mouvements est un mélange heureux de tradition et de créativité. Le premier mouvement, Allegro brillante, repose sur l’opposition habituelle entre deux thèmes contrastants : le quintette s’ouvre sur une déclaration autoritaire et éclatante, à laquelle répond bientôt un dialogue violoncelle-alto d’une tendresse infinie. Un passage central orageux met la virtuosité du piano à contribution avant la réexposition des thèmes.
Le deuxième mouvement, In Modo d’una Marcia, n’est pas sans rappeler la marche funèbre de la Symphonie n° 3 « Eroica » de Beethoven. Un refrain accablé se fait entendre dans la tonalité sombre d’ut mineur. Chanté par le violon et le violoncelle, un couplet doux et nostalgique vient éclairer l’atmosphère. Au cœur du mouvement, le piano sonne une révolte dans laquelle réapparaît le refrain au comble de l’exaspération. Le retour du premier couplet apaise les esprits et la marche s’éteint progressivement. S’ensuit un scherzo vif et énergique, aux gammes ascendantes jubilatoires. Un premier trio mélodieux vient tempérer l’enthousiasme collectif ; le second trio, en revanche, est d’une virtuosité toute tzigane.
L’inclassable dernier mouvement est d’une audacieuse originalité formelle. Le thème principal, solidement scandé, a une belle allure de refrain mais le ton de mi bémol majeur est sans cesse évité ou mis à mal par des développements inattendus. Tout s’éclaire au moment de l’apothéose finale : le thème se trouve alors superposé à celui du premier mouvement, dans une fugue pleine de panache.