8 août 2018
Les interprètes : Quatuor Girard, David Petrlik, Mathis Rochat, Yan Levionnois, Ismaël Margain
CAMILLE SAINT-SAËNS (1835 – 1921)
Quatuor à cordes n°1 opus 112
« Si je n’avais pas fait ce quatuor, les esthéticiens auraient tiré de cette lacune un tas de déductions, ils auraient découvert dans ma nature pourquoi je n’en avais pas écrit et comment j’étais incapable d’en écrire ! » confie Camille Saint-Saëns à son éditeur Durand. En 1899 et alors que la majeure partie de sa brillante carrière est derrière lui, le compositeur décide de se confronter au genre-roi de l’époque. Les quatuors à cordes de Beethoven sont alors considérés comme le modèle musical absolu et tout compositeur doit suivre les traces du maître de Bonn pour acquérir l’estime de ses semblables.
Saint-Saëns déploie donc toute son inventivité mélodique et sa science du contrepoint dans une œuvre sérieuse qui n’a rien d’un divertissement de salon. Le premier mouvement s’ouvre sur une harmonie transparente et une mélodie limpide, mais bientôt le discours se durcit et prend des contours alambiqués. Au cœur de cet Allegro, Saint-Saëns combine les quatre voix en une fugue complexe et se lance dans des modulations aventureuses.
Dans le scherzo qui suit, il expérimente à nouveau, s’empare d’une vieille mélodie bretonne et la déstabilise par une écriture syncopée. À deux reprises, Saint-Saëns oppose ensuite au thème populaire une nouvelle fugue savante. La seconde fois, le rythme s’assouplit et les imitations se transforment progressivement en un choral tranquille. Un bref rappel du premier thème referme le scherzo sur la pointe des pieds.
Molto adagio, le troisième mouvement montre le talent de mélodiste du compositeur et sa maîtrise de l’écriture violonistique : le premier violon entonne une phrase lyrique qu’il ornemente aussitôt. L’accompagnement s’anime et le musicien se lance dans des épreuves techniques qui rappellent qu’Eugène Ysaÿe, violoniste de génie, fut le dédicataire de l’œuvre. Le plus impressionnant reste à venir : le dernier mouvement, avec ses sommets de virtuosité dignes d’un concerto, offre une fin triomphale à ce chef-d’œuvre de la musique de chambre française.
WOLFGANG AMADEUS MOZART (1756 – 1791)
Fantaisie pour piano K. 475
Admis en 1784 dans la franc-maçonnerie viennoise, Wolfgang Amadeus Mozart compose l’année suivante une Fantaisie pour piano K. 475 qui porte la marque de son engagement récent. Le caractère lugubre de l’œuvre, sa majesté religieuse, sa tonalité symbolique d’ut mineur (les trois bémols à la clé peuvent être lus comme un triangle maçonnique) la rapprochent d’une autre pièce que Mozart composera quelques semaines plus tard : la Musique funèbre maçonnique K. 477. Dans ces deux ouvrages, l’obscurité et la mort ne doivent pas être comprises comme une fin glaçante mais comme un passage obligatoire, un rite initiatique qui mène aux lumières de la connaissance. C’est ainsi qu’on peut apprécier le climat changeant de la Fantaisie : en un seul mouvement, Mozart juxtapose des motifs pesants et des mélodies rayonnantes. Les nombreuses bifurcations de la pièce, ses suspensions interrogatives, ses hésitations peuvent ainsi être perçues comme la transposition en musique du cheminement psychologique et spirituel vécu par le compositeur.
WOLFGANG AMADEUS MOZART
Quatuor pour piano et cordes n° 2 en mi bémol majeur K. 493
Le Quatuor pour piano et cordes n° 2 suit de quelques mois la Fantaisie. Le printemps 1786 est alors une période d’intense activité pour Mozart : en mars, l’écriture de deux concertos pour piano s’est ajoutée à l’élaboration des Noces de Figaro. L’opéra est crééen mai après bien des péripéties. Le compositeur se tourne ensuite vers la musique de chambre avec piano, s’efforçant de mêler l’expression des cordes frappées avec le phrasé des archets. Achevé en juin, le Quatuor pour piano et cordes n° 2 ouvre une série d’œuvres estivales de musique de chambre au caractère détendu.
Son premier mouvement témoigne d’un parfait équilibre entre la virtuosité du clavier et le lyrisme des cordes. Après une ouverture solennelle mais plus joyeuse que martiale, un thème élégant, aux intervalles larges, est confié au violon. Dans un même esprit galant, un chant caressant et discret lui répond un peu plus loin. Le développement central insiste sur le premier thème avec une autorité nouvelle. Le retour des mélodies initiales précède une conclusion radieuse.
Dans une tonalité majeure lumineuse, le Larghetto voit les quatre instruments converser en toute tranquillité. Jalonné de nombreux silences, le mouvement adopte toutefois un caractère pensif qui persiste jusque dans les arpèges de la coda. Un Allegretto festif projette alors sur le quatuor un vent de fraîcheur qui disperse les quelques nuages. Plus concertant que les mouvements précédents, ce finale met en scène une opposition du piano et du trio à cordes. Les appoggiatures complices que s’échangent le violon et la main droite du clavier montrent cependant que cette désunion est plus ludique que réellement conflictuelle. Quelques modulations s’efforcent d’entretenir le doute mais c’est dans une bonne humeur générale que s’achève cette œuvre ensoleillée.