Camille Saint-Saëns
Réactionnaire, conservateur, académique… les épithètes peu amènes fleurissent généralement à l’évocation du nom de Camille Saint-Saëns. Pourtant, une bonne partie des malentendus autour du compositeur peuvent simplement s’expliquer par l’exceptionnelle longévité d’une carrière commencée dès les années 1840 et terminée au seuil des années 1920 avec l’écriture de trois sonates pour différents instruments à vent (hautbois, basson et clarinette) et piano. Enfant prodige, Saint-Saëns brûle les étapes durant une formation qui l’amène à étudier avec Halévy, Reber, Benoist et même Gounod. Comme pour nombre de ses futurs collègues (Debussy et Ravel entre autres), le Prix de Rome fait pourtant de la résistance et contrarie l’ascension de notre musicien : à sa première tentative en 1852, Saint-Saëns – qui n’a pas encore seize ans – échoue à l’épreuve de la cantate après avoir été au premier au concours d’essai. Rebelote douze ans plus tard, mais c’est un musicien déjà installé dans le métier, titulaire des orgues de l’église de la Madeleine, professeur à l’école Niedermeyer, auteur de trois symphonies et d’autant de concertos, qui irrite le jury dans une cantate Ivanhoé tout imprégné de verdisme. Ses prises de position en faveur de la musique de Schumann, Wagner, Liszt et Berlioz, le font alors passer pour un dangereux révolutionnaire.
Nouveau coup dur pourtant en 1870, qui laisse toute une génération traumatisée par la défaite de Sedan. Avec Fauré, Franck, Lalo et Castillon, Saint-Saëns fonde l’année suivante la Société Nationale de Musique, chargée de promouvoir la musique française, notamment dans le domaine de la musique de chambre. La 1ère Sonate pour violoncelle, le magnifique Quatuor avec piano, à la fois assimilation parfaite et dépassement des modèles germaniques, ou la 1ère Sonate pour violon, où flotte le doux parfum de la Sonate de Vinteuil de la Recherche du Temps perdu, sont les beaux enfants de ce nouvel intérêt pour les petites formations. A l’opéra en revanche, lieu où se font et défont les carrières pour tout musicien français, Saint-Saëns doit s’y reprendre à plusieurs fois avant de connaître le succès : La Princesse jaune est ainsi un échec en 1872, tandis que Samson et Dalila est créé (en allemand) à Weimar grâce aux efforts de Liszt.
A partir des années 1880, Saint-Saëns est au sommet de sa carrière entre reconnaissance institutionnelle (il est élu à l’Académie des Beaux-Arts en 1881), escapades exotiques (Algérie et Egypte notamment), tournées triomphales (de la Russie aux Etats-Unis !) et œuvres marquantes (la fameuse 3e Symphonie avec orgue, le Concerto pour piano l’Egyptien, les opéras Henri VIII, Ascanio, Les Barbares…). Hermétique aux changements qui agitent le monde musical dans les premières années du vingtième siècle et raillé par la nouvelle génération, le compositeur « officiel » Saint-Saëns n’en poursuit pas moins dans la voie qu’il a lui-même tracé, signant au passage une cantate Le Feu céleste, célébration de la fée électricité pour l’exposition universelle de 1900, ou encore la première musique de film en 1908 avec L’Assassinat du duc de Guise.