2 mai 2019
Les interprètes : Ensemble Ouranos, Guillaume Vincent
KARLHEINZ STOCKHAUSEN
Adieu pour quintette à vent (1966)
Composé à la demande du hautboïste Wilhelm Meyer après la mort tragique de son fils dans un accident de voiture, Adieu est un véritable requiem de chambre pour instruments à vent, dédié au défunt. Karlheinz Stockausen organise huit « Moments » dont les durées sont très précisément déterminées d’après la suite de Fibonacci. Des silences ou de brèves cadences séparent chaque section. Au sein de cette architecture minutieusement définie, la partition consiste en un large déploiement de textures qui sollicitent largement la capacité de création des interprètes. Stockhausen ne fournit parfois qu’une note de départ, indique l’emplacement d’un duo, demande l’utilisation de glissandos, de trilles ou de notes brèves et les musiciens sont ensuite libres de s’emparer de ces ingrédients comme bon leur semble. Il en résulte une oeuvre d’une grande plasticité, où les alliages de timbres sont en constant renouvellement. La sonorité du quintette assemblé prend parfois l’apparence d’un orgue, instrument dont jouait le dédicataire de l’ouvrage.
LUDWIG VAN BEETHOVEN
Quintette pour piano et vents en mi mineur opus 16
Commencé en 1796, le Quintette pour piano et vents opus 16 de Beethoven est créé l’année suivante, avec au piano Carl Czerny (1791-1857), élève du compositeur. Ce concert restera gravé dans les mémoires : le pianiste raconte lui-même qu’il s’est « permis, avec une légèreté d’enfant, de faire quelques modifications », provoquant la terrible colère de son maître ! Si Beethoven a rarement écrit pour instruments à vent, force est de constater que son oeuvre montre ici une parfaite maîtrise du genre, depuis l’expression individuelle des timbres jusqu’à l’équilibre général de la formation. Beethoven a conçu son ouvrage en suivant le modèle mozartien (le Quintette K. 452 convoque exactement les mêmes instruments). L’Andante cantabile tire d’ailleurs sa douce mélodie principale de Don Giovanni (air de Zerlina : « Batti, batti, o bel Masetto »). Dans les mouvements vifs qui entourent cet épisode central, l’écriture du jeune Beethoven est bien reconnaissable : les idées mélodiques suivent des carrures régulières mais le compositeur accentue les contrastes et déplace souvent les appuis de la mesure. En-dehors de l’introduction majestueuse, le piano et le quatuor à vents sont opposés suivant le dispositif concertant : la virtuosité du pianiste fait face au souffle puissant du collectif, jusqu’à la conclusion ébouriffante du rondo.
PAUL HINDEMITH
Kleine Kammermusik opus 24 n° 2
Altiste, membre du réputé quatuor Amar qui officie au festival de Donaueschingen dans les années 1920, Paul Hindemith s’affirme dans ce contexte comme un compositeur d’envergure internationale. L’environnement est alors propice à l’écriture d’une quantité d’oeuvres de musique de chambre : sonates pour alto ou violoncelle, trio, quatuor… C’est à des amis du festival que Hindemith dédie sa Petite musique de chambre (« Kleine Kammermusik ») opus 24 n° 2, pour cinq instruments à vent. L’oeuvre brille par son humour dès le premier des cinq mouvements. Un air impertinent circule dans le quintette. Le hautbois s’efforce bien de lancer une mélodie rêveuse, le basson ralentit sérieusement le tempo mais rien n’y fait : le mouvement s’achève sur une pirouette. S’ensuit une valse maladroite, où le lourd basson essaie de danser avec les mélismes alambiqués du piccolo. S’ouvrant sur une mélopée dépouillée, le mouvement lent central apporte un contraste radical. Après un temps de silence, un accompagnement feutré vient donner un élégant habit lyrique à la mélodie principale, mais c’est de nouveau nue qu’elle se présente à la cadence conclusive. Après la parenthèse du quatrième mouvement, brève déflagration dont chaque instrument essaie tour à tour de s’extraire, le finale conclut l’ouvrage dans une marche enjouée.
FRANCIS POULENC (1899-1963)
Sextuor pour piano, flûte, hautbois, clarinette, basson et cor
« J’ai toujours adoré les instruments à vent, que je préfère aux cordes, et ceci, tout naturellement », avouait Francis Poulenc en 1953. Le catalogue du compositeur regorge d’oeuvres de musique de chambre écrites sur mesure pour les vents, dont un Sextuor pour piano et quintette à vents qu’il achève en 1932… avant de le reprendre sept ans plus tard, conscient des déséquilibres de sa première version. L’oeuvre remaniée est tellement convaincante que sa portée dépasse de loin le seul cadre de la musique de chambre : il y a dans les mouvements extrêmes une énergie rythmique jubilatoire et une maîtrise de l’écriture concertante qui rappellent les chefs-d’oeuvre de Stravinski, tel le Concerto pour piano et instruments à vent. Après un tutti plein de fougue, le premier mouvement débouche soudainement sur un solo de basson en apesanteur. Le piano prend le relais, dans un épisode mélancolique typique de Poulenc. Le mouvement trépidant reprend cependant ses droits jusqu’à la conclusion. En guise de deuxième mouvement, un « Divertissement » doux et nostalgique emprunte son thème principal à la Sonate « facile » K. 545 de Mozart. Le finale vient conclure le sextuor avec brio, le piano étant mis à l’épreuve dans des traits virtuoses. Le mouvement s’arrête cependant tout à coup, inexplicablement, pour conclure dans une étonnante langueur, digne du « Jardin féérique » de Ravel.