Francis Poulenc
« Je fais ce qui me chante », avait coutume de dire Francis Poulenc. Issu d’une riche famille d’industriels, notre musicien avait en effet peut-être moins que d’autres besoin de composer pour vivre, mais cette liberté et cette indépendance d’esprit traversent toute son œuvre, de la provocatrice Rhapsodie nègre de 1917 (un scandale, qui lui ferma d’ailleurs les portes du conservatoire) jusqu’aux deux ultimes sonates pour vent et piano de 1962 (respectivement clarinette et hautbois), ilots de poésie échoués dans une époque encore traumatisée par les horreurs de la seconde guerre mondiale. De la légèreté certes, qui lui fera connaitre ses premiers succès dans les années 1920 au sein du turbulent Groupe des Six (Auric, Honegger, Durey, Milhaud, Tailleferre), mais aussi une part sombre, plus introvertie, empreinte de gravité et de spiritualité, et qui inspirera à Claude Rostand la formule restée célèbre du Poulenc « moine ou voyou ». Les Biches (1924), le Concert champêtre pour le clavecin de Wanda Landowska (1929), le « concerto chorégraphique » Aubade (1929), les Impromptus, les Promenades, les Novelettes pour piano, sans oublier bien sûr les premiers recueils de mélodies dédiés à Pierre Bernac : toutes ces œuvres des Années Folles témoignent d’un musicien déjà sûr de son instinct, et ce malgré sa formation tardive (et sans doute superflue) auprès de Charles Koechlin.
Le drame de Poulenc ? Etre toujours décalé. Quand les Français profitent de leurs premiers congés payés pendant l’été 1936, Poulenc est bouleversé par l’annonce de la mort du compositeur Pierre-Octave Ferroud et couche sur le papier en quelques jours les Litanies à la Vierge noire de Rocamadour, modèle d’humilité et de recueillement. En 1942, en pleine occupation, c’est la truculence et la drôlerie des Animaux modèles, un ballet d’après les Fables de La Fontaine qui peuvent surprendre. Poulenc continuera par la suite de souffler le chaud et le froid, passant par exemple à l’opéra du comique surréaliste des Mamelles de Tirésias au drame religieux des Dialogues des carmélites d’après Bernanos (mais toujours avec la soprano Denise Duval en tête d’affiche, également héroïne esseulée et tragique de La Voix humaine). Pour la musique sacrée, son catalogue s’enrichit également considérablement après-guerre, avec notamment le tendre Stabat Mater (1951), accueilli triomphalement au grand dam de l’avant-garde musicale de l’époque. Surpris par une crise en cardiaque le 30 janvier 1963, Poulenc n’assistera pas à la création de ses deux dernières sonates, couronnement d’un catalogue chambriste dans lequel il faut absolument mentionner le Trio pour hautbois, basson et piano de 1926, le pétulant Sextuor de 1932 ou la délicieuse Sonate pour flûte et piano, créée en 1957 par Jean-Pierre Rampal accompagné de Poulenc au piano.