6 avril 2024
Les interprètes : Emmanuel Coppey, Vassily Chmykov, Manuel Vioque-Judde, Maxime Quennesson, Yann Dubost, Raphaël Sévère, Gabriel Durliat, Arthur Hinnewinkel
FRANZ SCHUBERT
Quintette pour piano et cordes en la majeur D. 667 « La Truite »
Aidé par la parodie savoureuse de Francis Blanche, le Quintette « La Truite » de Franz Schubert a acquis une telle popularité qu’on pourrait en oublier sa double singularité : avec ses cinq mouvements (au lieu des quatre habituels) et son instrumentation étrange, l’œuvre n’a guère d’équivalent dans l’histoire de la musique de chambre. À en croire un ami d’enfance du compositeur, Albert Stadler, on doit sa naissance à Sylvester Paumgartner, directeur adjoint des mines de fer de Steyr (au nord de l’Autriche) et violoncelliste amateur qui, malgré son piètre niveau instrumental, avait fait de sa maison le centre musical de la ville. Schubert aurait fait la connaissance de ce drôle de personnage lors de son séjour sur place pendant l’été 1819. Grand admirateur du lied La Truite et d’un quintette de Johann Nepomuk Hummel pour violon, alto, violoncelle, contrebasse et piano, Paumgartner aurait demandé à son visiteur de lui écrire une œuvre reprenant le thème du premier et l’effectif instrumental du second… Schubert relèvera le défi et, sans doute pour correspondre à l’esprit original de cette commande, donnera à sa partition une forme hybride, à mi-chemin entre divertissement domestique et ouvrage savant.
Avec sa double ration de mouvements lents, son finale au joyeux caractère tzigane et le peu de place accordé de manière générale aux développements dramatiques, le Quintette D. 667 se rapproche en effet de l’esprit léger du divertimento. Quant à l’écriture pianistique qui place souvent les deux mains en parallèle à l’octave, elle reprend les codes simples du quatre-mains schubertien. L’œuvre n’en est pas moins riche en subtilités : outre la dentelle du scherzo aux appuis décalés (troisième mouvement), les variations sur le lied original mettent joliment à l’épreuve la virtuosité des interprètes – et notamment l’expressivité du violoncelle dans son échappée mélancolique en mode mineur. Avant cela, les deux premiers mouvements laissent entrevoir la marque du « grand » Schubert : il y a comme un avant-goût du fabuleux Quintette D. 956 dans cette façon de commencer l’ouvrage en valeurs longues, donnant l’impression d’une introduction lente ; dans ces chants éperdus à deux voix tantôt en dialogue (le violon et le violoncelle dans le premier mouvement), tantôt ensemble (l’alto et le violoncelle dans le deuxième) ; dans cette persistance du rythme pointé, véritable signature schubertienne. Mais partout, comme pour montrer que tout cela n’est pas encore très sérieux, Schubert lance des arpèges ascendants qui remontent à la source, rappelant l’accompagnement pianistique du lied original que Paumgartner aimait tant.
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OLIVIER GREIF
Ich ruf zu Dir pour piano, clarinette et quatuor à cordes (1999)
« S’il fallait définir en une brève locution l’essence de ma musique, je dirais : pessimisme mystique .» Citée par le musicologue Gilles Cantagrel sur France Musique en 2005, cette phrase d’Olivier Greif s’applique parfaitement à son sextuor Ich ruf zu Dir.
Créé au festival Présences le 13 février 2000 – c’est-à-dire trois mois jour pour jour avant la disparition prématurée d’Olivier Greif – le sextuor Ich Ruf zu Dir est peut-être l’œuvre la plus difficile d’accès du compositeur. « Je crie vers toi » : d’emblée, le titre dit la douleur et la désespérance – et pour cause : Greif a composé Ich Ruf zu Dir au moment même du décès de son père. Le thème du choral qui donne son nom à l’œuvre parcourt en filigrane la pièce entière. Le premier mouvement, « Scream », commence par de longues plages de silence, à peine entrecoupées de notes isolées au piano et à la clarinette, et de lignes de cordes ppp quasi niente. Peu à peu, quelques éruptions brèves trouent ce « presque-rien » ; et soudain, c’est le cri de Munch qui retentit – hurlements de clarinette et déchirures de cordes –, avant d’être emporté à son tour. L’œuvre se poursuit avec une tarentelle obsessionnelle, « Roundabout », qui donne à entendre des variations du choral aux différents instruments, portées par un ostinato endiablé. Mais peu à peu, le mouvement court à la catastrophe, et se termine sur une déflagration qui en fait rétrospectivement une véritable course à l’abîme.
Changement radical avec « Ghost », le bref troisième mouvement. Une musique désincarnée, spectrale résonne au piano, soutenue par un tapis de cordes en harmoniques : c’est une citation de l’Adagio pour harmonica de verre de Mozart. Dans cette atmosphère statique, la clarinette fait entendre des appels plaintifs, de plus en plus longs, tandis que la citation de Mozart se dissout peu à peu.
Enfin, « Sambor » (du nom de la ville de naissance du père de Greif) consiste en une série de sept variations sur une chaconne. La musique se complexifie progressivement, les lignes mélodiques se chevauchent, des citations de Beethoven et de Bach se superposent à l’ensemble. La fin de l’œuvre est interrompue par un rappel du cri de « Scream », avant un retour au silence initial.
Sarah Léon. Avec l’aimable autorisation de Classica.
SERGUEÏ PROKOFIEV
Ouverture sur des thèmes juifs pour piano, clarinette et quatuor à cordes op. 34
Exilé aux États-Unis depuis la fin de l’année précédente, Sergueï Prokofiev reçoit en octobre 1919 une commande de l’Ensemble Zimro, groupe russe de passage comme lui à New York. Charge au compositeur d’écrire pour le sextuor une partition brève à partir de mélodies juives, cœur de répertoire des Zimro. Prokofiev n’a pas pour habitude de remplir ce genre de mission mais il se prête au jeu et livre en quelques jours un ouvrage bigarré rempli de notes entraînantes et de mélopées mélancoliques. Aussi émouvant dans ses passages lyriques que drôle dans sa construction (appréciez en plein cœur du morceau le faux retour de la clarinette, incapable de jouer le thème), il remportera un succès tel que le compositeur l’adaptera pour orchestre de chambre quelques années plus tard.