2 mai 2015
Les interprètes : David Petrlik, Alexandra Soumm, Amaury Coeytaux, Léa Hennino, François Salque, Bruno Philippe, Yann Dubost, Guillaume Vincent, Ismaël Margain, Guillaume Bellom
Cap à l’Est pour ce concert de clôture du 19e Festival de Pâques ! Composé à la mémoire de son ami Nicolas Rubinstein, fondateur notamment du conservatoire de Saint-Pétersbourg, le grand trio de Tchaïkovski ouvrait cette soirée musicale du 2 mai 2015 qui réunissait une fois de plus plusieurs générations de musiciens sur la scène de la salle Elie de Brignac. Alexandra Soumm et Guillame Vincent y retrouvent François Salque, l’ancien violoncelliste du quatuor Ysaÿe et un habitué du festival depuis ses premières éditions, pour un moment de musique de chambre empreint de recueillement. Cette émotion partout sensible dans le chef-d’œuvre de Tchaïkovski est également présente dans le Quintette opus 77 de Dvorak, mais avec un côté bien plus lumineux. Ajoutant une contrebasse au quatuor à cordes traditionnel, l’œuvre est une invitation à aller se promener dans les forêts de Bohème, avec des instants d’exubérance et d’insouciance dignes de la Truite de Schubert. On sent en tout cas dans cette page de 1875 (Dvorak avait alors 34 ans) la volonté du compositeur de s’affranchir de l’influence germanique pour se rapprocher d’un ton plus authentiquement tchèque. Une équipe réunie autour d’Amaury Coeytaux au violon mène la danse dans cet opus enlevé qui mène naturellement à Martinu, l’héritier naturel de Dvorak avec Joseph Suk. Interprétées par les inséparables Ismaël Margain et Guillaume Bellom, deux courtes pages de ce compositeur qui aura passé une plus grande partie de sa vie entre la France et les Etats-Unis, ont la lourde charge de faire se baisser le rideau sur cette édition 2015 et de nous faire patienter jusqu’aux festivités de la 20e édition l’année prochaine.
« A la mémoire d’un grand artiste » annonce Tchaïkovski. La dédicataire de son trio est en effet son ami Nicolaï Rubinstein (1835-1881), pianiste, chef d’orchestre, compositeur et fondateur du conservatoire de Moscou, à qui il avait dédié ses deux premiers concertos pour piano qui venait de mourir à Paris. Tchaïkovski n’avait pourtant pas masqué ses idées quand sa bienfaitrice et correspondante madame von Meck lui demanda en 1880 pourquoi il n’avait jamais écrit de trio. Le 24 octobre le compositeur lui répondit : « L’organisation de mon appareil acoustique fait que je ne supporte absolument pas la combinaison du piano avec un violon ou un violoncelle. Ces sonorités me paraissent s’exclure les unes les autres, et je vous assure que c’est une véritable souffrance pour moi d’entendre un trio ou une sonate avec violon ou violoncelle. » Il y a peu de chances que l’« appareil acoustique » du compositeur ait radicalement changé en quelques mois. Toujours est-il qu’il précise à son éditeur que « son coloris est un peu celui d’une déploration funèbre. » Durant une quarantaine de minutes, le compositeur russe va confier à cette « déploration » une forme singulière. Tchaïkovski s’organise en effet en trois temps d’inégales longueur. Le premier, intitulé Pezzo elegiaco (morceau élégiaque) respecte pourtant le parcours contrasté de la forme sonate mais il lui confie trois et non plus deux idées. Le premier sujet révèle l’abattement et la tristesse de l’auteur dans une courbe mélodique tourmentée en notes conjointes d’abord dessinée par le violoncelle puis le violon avant d’arriver sur le clavier du piano. Le mouvement s’anime alors et s’oriente vers un Allegro giusto en mi majeur que guide, comme une marche, le piano avant que les cordes n’entonnent un chant autrement plus optimiste, presque conquérant. Les cordes énoncent, piano, le troisième thème, presque serein et consolateur. Après ce long passage de près de cinq cents mesures, le trio se poursuit par un thème et ses onze variations. Ce thème, aux accents naïfs d’une mélodie populaire (mi majeur), contraste singulièrement avec la tourmente qui précède. Le piano le murmure cantabile et lui confère la solennité d’un choral. Sans détailler chacune des variations, on pourra constater que le chant recueilli évolue vers des cieux de plus en plus clairs dans lesquels la valse et la mazurka n’hésitent pas à marquer le pas. On quitte l’église pour le salon avant de retourner à des pensées plus sérieuses dans la onzième variation. Le trio s’achève par une ultime variation presque mutine aux allures d’un carnaval de Schumann avant de se développer sur une échelle quasi symphonique.
Si deux ou trois des quatorze quatuors à cordes de Dvorák, un de ses deux quintettes avec piano apparaissent au programme des concerts et des disques, ses quintettes à cordes restent obstinément oubliés. La découverte de son deuxième (opus 77) répare ainsi une injustice. A la différence des opus 1 et opus 97 qui doublent l’alto, il préfère employer la contrebasse. Elle se fait d’emblée entendre en duo avec le violoncelle, dans une introduction lente en mineur qui semble orienter le premier mouvement vers de sombres humeurs. Fausse alerte : le sol majeur et allegro con fuoco annoncés se déploient très vite sur un premier sujet concentré en une mesure et repéré par un triolet désinvolte que conservera le deuxième thème. Le troisième est énoncé par un saut d’octave du violoncelle. Leur combinaison maintient l’ensemble dans une animation permanente teintée d’accents populaires. Ils déterminent ensuite l’allure du scherzo par leurs rudes syncopes que le trio central fera oublier dans sa mélancolie songeuse. Elle se prolonge dans le Poco andante conduite par le premier violon, d’abord amoureusement enlacé par le violoncelle, puis accompagné de tous les instruments dans une section centrale à trois temps. Le finale retrouve l’atmosphère détendue et la rustique jovialité du premier mouvement dans une vigoureuse alternance de refrain et couplets.
Composée en 1929, la Fantaisie pour deux pianos est contemporaine de nombreuses pièces influencées par la musique américaine et la danse : Jazz pour orchestre, Jazz Suite, Blues, Tango et Allegretto. Il ne faut évidemment pas en déduire des conclusions hâtives sur l’humeur chorégraphique du compositeur tchèque alors installé à Paris. Cela dit, ces sept minutes sont animées d’un irrésistible élan rythmique que n’auraient pas renié Prokofiev ou Stravinski. Datées de 1949, les trois Danses tchèques connaissent une semblable agitation. La troisième et dernière sonne comme une toccata installée sur un mouvement perpétuel : aucun répit n’est permis.