Piotr Ilitch Tchaïkovski
Trop romantique pour certains, pas assez russe pour d’autres, Tchaïkovski n’en demeure pas moins, malgré les malentendus et la condescendance dont sa musique a été trop souvent victime, la personnalité la plus importante de la musique russe au XIXe siècle, ainsi qu’une vraie figure paternelle pour toute la génération suivante. Destiné à une carrière dans l’administration, il abandonne en 1863 son poste de secrétaire au ministère de la justice pour se consacrer pleinement à la musique et poursuivre auprès de Nikolaï Zaremba et Anton Rubinstein son apprentissage au conservatoire de Saint-Pétersbourg tout juste fondé. Cap sur Moscou en 1866, où Nicolas Rubinstein, le frère d’Anton, lui propose un poste de professeur de théorie musicale : le début de carrière de Tchaïkovski coïncide donc avec les débuts d’une professionnalisation de la vie musicale dans l’empire d’Alexandre II. Alors qu’il livre ses premières œuvres marquantes (1èreSymphonie en 1868, Ouverture Roméo et Juliette en 1870, 2e Symphonie en 1873, 1er Concerto pour piano en 1875…), le compositeur se rapproche puis s’éloigne du fameux Groupe des Cinq, trop exclusif selon lui dans leurs préférences musicales. Mozart ou Glinka, un vieil air russe traditionnel ou une charmante mélodie populaire italienne : Tchaïkovski refuse de choisir et préfère s’abreuver à toutes les sources.
En 1876, le compositeur entame une relation épistolaire avec Nadejda von Meck, jeune veuve et héritière d’une immense fortune qu’elle met en partie à disposition de Tchaïkovski. Ne pas se voir, juste s’écrire, contre une simple demande en échange : que le génie du compositeur, dégagé des petits soucis du quotidien, puisse librement s’épanouir… Le rêve pour tout musicien ! Abandonnant l’enseignement et la critique musicale, Tchaïkovski saura profiter de cette manne inespérée qui lui permet notamment de voyager tranquillement à travers toute l’Europe (et au passage de se changer les idées après son calamiteux mariage, dont la tragique 4e Symphonie se fait l’écho). Jusqu’à la rupture brutale de ses relations avec Madame von Meck en 1890 (fortune trop vite dilapidée ou alors cette dernière avait-elle eu vent des préférences du musicien ?), Tchaïkovski voit donc sa réputation grandir sans cesse avec la création de ses opéras Eugène Onéguine ou La Dame de pique, du ballet La Belle au bois dormant, de la 5e Symphonie ou de la Symphonie Manfred. Une tournée triomphale aux Etats-Unis et la création réussie de Casse-noisette éclairent les dernières années du musicien, marquées par le mystère et le scandale qui entourent la Symphonie Pathétique, dont le programme « profondément subjectif » a été gardé secret par son auteur. Mort quelques jours seulement après la création de l’œuvre (suicide ? accident ? assassinat et tribunal d’honneur ? toutes les hypothèses ont couru…), Tchaïkovski laisse une œuvre immense, dominée par l’orchestre et la scène mais dont on aurait tort de négliger la part chambriste. Trois beaux quatuors datés des années moscovites (1871-1876) sont des jalons décisifs pour le genre en Russie, tandis que la mort de son ami Nicolas Rubinstein et le soleil de l’Italie lui ont inspiré deux pages aussi abouties que dissemblables avec le Trio opus 50 « A la mémoire d’un grand artiste » et le Sextuor à cordes « Souvenir de Florence ».