28 juillet 2018
Les interprètes : Quatuor Hanson, Brieuc Vourch, Shuichi Okada, Manuel Vioque-Judde, Adrien Bellom, Guillaume Vincent, Philippe Hattat
MAURICE RAVEL (1875 – 1937)
Ma mère l’Oye pour piano à quatre mains
Pavane de la Belle au bois dormant
Petit Poucet
Laideronnette, Impératrice des Pagodes
Les Entretiens de la Belle et de la Bête
Le Jardin féerique
Mimi et Jean Godebski, neuf et sept ans, ont-ils réalisé qu’un des plus grands compositeurs français de l’histoire leur avait offert un joyau ? En écrivant Ma mère l’Oye pour les enfants de ses amis, Maurice Ravel a fait bien plus qu’un acte pédagogique et ludique : dans les cinq miniatures que compte ce cycle pour piano à quatre mains, il soumet son style à un dépouillement qui fait ressortir toute la poésie de sa musique. Entre le sommeil cadencé de la Belle au bois dormant et son réveil heureux dans la lumière du jardin féérique, les pianistes donnent à entendre des péripéties contrastées, issues de différents contes. Le Petit Poucet semble errer sans fin sur le clavier : les oiseaux ont mangé les miettes qu’il avait disposées sur son chemin. La Belle, pure et légère dans son mouvement de valse harmonieuse, reste à distance de la Bête, dissonante et chromatique dans le grave… avant la transformation finale en prince dans un glissando enchanteur. Au cœur de l’œuvre, le concert des pagodes comprend d’audacieuses superpositions mélodico-rythmiques issues de la musique javanaise. Le procédé révèle la fascination de Ravel pour « l’orientalisme musical » (selon ses propres mots) et la subtilité d’un cycle qui séduit toujours les petits et les grands.
ANTON WEBERN (1883-1945)
Quintette pour piano et cordes M. 118
Premier ouvrage d’Anton Webern à avoir été interprété en public, le 7 novembre 1907, le Quintette pour piano et cordes M. 118 marque les débuts d’un compositeur au potentiel extraordinaire : en un seul mouvement d’allure modérée, l’œuvre passe d’un romantisme brahmsien, qui fait la part belle à l’alto, à des explorations annonciatrices de la voie atonale que l’auteur ne va pas tarder à emprunter. Les modes de jeu se multiplient (pizzicato, sourdine, trémolos, jeu sur le chevalet) tandis que le lyrisme de la ligne mélodique adopte des contours tortueux, dans la lignée de La Nuit transfigurée d’Arnold Schönberg. Élève du maître viennois, Webern se démarque peu de son aîné, si ce n’est dans le morcellement du discours qui se manifeste par endroits. Le quintette s’éparpille alors en d’inquiétants fragments de sonorités inouïes. Ces perturbations ne suffisent pas à bouleverser la stabilité de l’ouvrage : les dernières mesures font entendre le retour du thème initial en apothéose, avec une affirmation résolue de la tonalité lumineuse de do majeur.
JOHANNES BRAHMS (1833 – 1897)
Quatuor à cordes opus 51 n° 2
Dans les genres majeurs de la musique instrumentale de son temps, le quatuor à cordes et la symphonie, Johannes Brahms a fait preuve de patience pour élaborer des ouvrages dignes de figurer aux côtés des chefs-d’œuvre de ses prédécesseurs. Il faut donc attendre la quarantième année du compositeur, et près de vingt ans d’esquisses successives, pour voir des quatuors entrer dans son catalogue. Après trois mois productifs passés dans le petit village bavarois de Tutzing, au bord du lac de Starnberg, Brahms met enfin la double barre finale à ses deux Quatuors à cordes opus 51. En quatre mouvements, l’opus 51 n° 2 épouse les formes traditionnelles du genre. L’Allegro initial expose une texture typiquement brahmsienne, avec un riche contrepoint dans les voix centrales et une superposition de rythmes binaires et ternaires. Le premier violon déploie un chant mélancolique en valeurs longues ; après une transition achevée en solitaire, il est rejoint par le second violon pour entonner une mélodie contrastante, doucement balancée, allégée par les pizzicati du violoncelle et apaisée par le passage en mode majeur. Après un bref passage conflictuel, les thèmes initiaux se font entendre à nouveau, avant un basculement précipité vers la cadence finale. L’Andante moderato s’ouvre dans la même veine lyrique, avec la chaleur des cordes graves. L’atmosphère sereine n’est interrompue qu’à une seule reprise par une dispute du premier violon et du violoncelle, en rythmes saccadés, sur fond de trémolos. Ce mouvement lent est suivi de l’habituel menuet, qui propose en réalité bien des originalités. Le bourdon du violoncelle pourrait supporter une danse rustique, mais l’humeur n’est pas au divertissement. Les appuis des mesures sont brouillés ou déplacés, le son voilé : le mystère prédomine. Tout s’éclaire au moment tant attendu du trio… qui est étonnamment remplacé par un scherzo léger et sautillant, très mendelssohnien ! Un refrain également vif, d’inspiration tzigane, lance le Finale. Le sérieux de l’écriture brahmsienne est cependant bien reconnaissable, dans les imitations rigoureuses et la superposition d’appuis rythmiques contradictoires, le premier violon s’opposant à ses partenaires. Le refrain semble finalement s’évaporer dans des valeurs longues… Une reprise più vivace vient alors conclure l’opus de manière virtuose. Créée à Berlin le 18 octobre 1873 par le quatuor Joachim, l’œuvre reçut l’accueil triomphal qu’elle méritait.