1er mai 2021
Les interprètes : L' Atelier de musique, Edwin Fardini, Pierre Dumoussaud
FRANZ SCHUBERT
Memnon pour voix et orchestre D. 541
Ständchen (Schwanengesang) pour voix et orchestre D. 957 n° 4
Erlkönig pour voix et orchestre D. 328 opus 1
On s’étonnera que Goethe n’ait jamais souhaité rencontrer Schubert. Car la mise en musique du Roi des Aulnes est un chef-d’œuvre du romantisme allemand qui transcende le poème : la cavalcade éperdue de l’accompagnement figure à la fois le galop du cheval et l’angoisse du père, tandis que la voix du narrateur adopte tour à tour le sifflement tentateur de la Mort, la clameur puissante du cavalier et les cris apeurés de l’enfant. En quelques minutes d’une brève ballade, Schubert écrit un condensé de drame qui défie l’imagination.Le compositeur connaissait en revanche très bien Johann Mayrhofer. De nombreux textes du poète ont permis à Schubert de renouveler sa conception des lieder en expérimentant de nouvelles formes. Si Memnon a été orchestré par Johannes Brahms en 1862, c’est d’ailleurs parce que sa partie de piano était inhabituellement dense, avec son motif rythmique fatal et obstiné. Beaucoup plus sobre, l’accompagnement de Ständchen évoque la guitare et la forme du lied conserve les contours d’une sérénade, malgré un éclairage harmonique ambivalent, en clair-obscur permanent.
OLIVIER GREIF
Symphonie pour voix de baryton et orchestre
Mandorla s’ouvre sur des harmonies étales de cordes, dénuées du moindre vibrato. La ligne vocale se déploie ensuite, sans prendre le moindre relief. « Le néant se tient dans l’amande », dit le texte de Paul Celan. Contraint dans une tessiture intime de cinq notes voisines, le baryton attendra la troisième strophe pour s’autoriser un premier saut d’intervalle. Composée en 1997, la Symphonie pour voix de baryton et orchestre d’Olivier Greif est une grande œuvre de retour à la vie créatrice pour le compositeur, qui commence à se défaire de l’emprise sectaire des adeptes de Sri Chinmoy et se remet d’une crise de pancréatite aiguë. En février, Greif a revu son ancien maître Luciano Berio, découvert la poésie de Celan et retrouvé une soif de créer comparable à celle qui l’avait animé, près de vingt ans plus tôt, pour la composition des Chants de l’âme. « Quand j’ouvrais le recueil [des] poèmes pour y sélectionner ceux dont j’allais m’inspirer pour ma Symphonie, la musique me venait instantanément à l’esprit ! » s’exclame Greif dans son journal. La création de cette œuvre sombre, où l’orchestration et le choix des motifs rappellent Mahler, aura lieu salle Gaveau en février 1998, sous la direction de Jérémie Rhorer.
GUSTAV MAHLER
Rückert-Lieder pour voix et orchestre
En se penchant sur la poésie de Friedrich Rückert (1788-1866) pendant l’été 1901, Gustav Mahler ne se doutait probablement pas qu’il trouverait dans ces textes intimes, empreints de douleur et de solitude, la source de nombreuses compositions ultérieures. Quatrième des Rückert-Lieder créés en 1905, Ich bin der Welt abhanden gekommen (« Je suis perdu pour le monde ») deviendra ainsi le dernier mouvement du Lied von der Erde et aura inspiré entretemps le fameux Adagietto de la Symphonie n° 5. Ce chant introspectif où la ligne mélodique se cherche, où le silence envahit le texte, est une pièce suspendue hors du temps. Avant cette conclusion crépusculaire, Edwin Fardini ouvrira son cycle dans la senteur du tilleul, figurée par un flux de croches dans Ich atmet’ einen linden Duft (« Je respirais un doux parfum »). Le mouvement perpétuel de Blicke mir nicht in die Lieder (« Ne regarde pas mes chants ») évoque ensuite l’activité des abeilles mentionnées dans la deuxième strophe. La nuit tombe avec Um Mitternacht (« À minuit ») : la harpe et le contrebasson forment alors des combinaisons inouïes pour noircir le ciel de la partition. Avant l’ultime lied, Liebst du um Schönheit (« Si tu aimes pour la beauté ») fait entendre une véritable déclaration d’amour qui s’appuie sur le leitmotiv wagnérien du désir (tiré de Tristan et Isolde). Ces lieder sont présentés dans l’arrangement d’Eberhard Kloke qui parvient habilement à conserver la richesse des timbres de l’orchestre symphonique original, les musiciens de l’orchestre de chambre changeant fréquemment d’instrument.
OLIVIER GREIF
Quadruple concerto « Danse des morts » pour piano, violon, alto, violoncelle et orchestre
Un an après la Symphonie pour voix de baryton et orchestre, Olivier Greif a repris une activité artistique de tous les instants. En cet été 1998, il s’apprête à entrer en résidence à l’abbaye de La Prée, vient d’achever un troisième quatuor avec voix, passe dix jours à l’Académie- Festival des Arcs où il joue en concert deux de ses œuvres… Quand il quitte Les Arcs, c’est pour rejoindre le festival de Cordes-sur-Ciel et assister à la création de son Quadruple concerto, composé en seulement treize jours quelques semaines plus tôt.C’est sur un choral des solistes que s’ouvre l’œuvre, avant de basculer progressivement dans une transe macabre. Le chant désespéré du deuxième mouvement et la danse folklorique grinçante du finale (où surgit un Dies Irae) suivent une évolution semblable, les lignes des solistes se rejoignant les unes après les autres dans un tissu infernal jusqu’à l’entrée de l’orchestre. Toutes les œuvres écrites par Greif à cette époque entretiennent un rapport paradoxal à la mort, à la fois source d’angoisse et d’inspiration. En septembre, le compositeur l’avouera dans son journal :« Je suis affolé par la rapidité avec laquelle ces œuvres me viennent, et une légère inquiétude me montre le bout de son nez. La mort, la maladie, la déchéance… Elle est instantanément calmée par la pensée infiniment rassurante qu’après tout, il se peut très bien que j’aie simplement gagné en métier. »