1er août 2021
Les interprètes : Trio Arnold, Shuichi Okada, Manuel Vioque-Judde, Bumjun Kim, Ismaël Margain
BÉLA BARTÓK
Six Danses roumaines pour violon et piano Sz. 56
Jouées aussi bien pour piano seul (version originale de 1915) qu’en orchestre de chambre (après adaptation par le compositeur en 1917), les Danses populaires roumaines de Béla Bartók sont également prisées des violonistes, qui apprécient la riche palette expressive de ces courtes pièces : mélopées chantantes qui balaient tous les registres de l’instrument, doubles cordes avec bourdon, passage en harmoniques scintillants, pizzicati, traits virtuoses… En cinq minutes, le voyage est d’une richesse impressionnante ! Toutes les mélodies proviennent directement des musiques jouées par les paysans roumains, collectées par Bartók au gré de ses voyages dans le pays (et plus particulièrement en Transylvanie) depuis 1909. L’accompagnement et l’harmonie sont en revanche un ajout du compositeur qui, habilement, ne cherche pas à faire rentrer le discours musical dans un carcan tonal : modalité et dissonances sont au rendez-vous de ces pièces toujours populaires, dans tous les sens du terme.
SERGUEI IVANOVITCH TANEIEV
Trio pour violon, alto et violoncelle en mi bémol majeur (op. 31)
Disciple puis ami de Tchaïkovski qui admirait ses multiples talents, pianiste réputé, maître du contrepoint qui prit les rênes du Conservatoire de Moscou entre 1885 et 1889, Sergueï Taneïev influença durablement une génération de compositeurs russes (Glière, Rachmaninov, Scriabine, Medtner passèrent dans sa classe) qui l’éclipsèrent ensuite. Une des raisons de la relative discrétion de ce compositeur dans les ouvrages d’histoire de la musique est sans doute à chercher dans son amour des formes anciennes : ses oeuvres restent marquées par un fort attachement aux règles du passé, à une époque résolument tournée vers l’avenir – à l’oreille, on peine à croire que son Trio op. 31 fut créé deux mois avant le scandale du Sacre du printemps !
Ses ouvrages sont cependant remarquables d’équilibre et d’esprit : l’Allegro con brio qui ouvre le Trio op. 31 regorge de rythmes pointés et d’ornements fleuris qui rappellent par endroits les ouvertures baroques à la française. Le deuxième mouvement est un Scherzino pétillant qui semble s’inspirer des compositions féériques de Felix Mendelssohn – à moins qu’il y ait ici un clin d’oeil aux ballets de Tchaïkovski ? Quoi qu’il en soit, Taneiev ne ménage aucun de ses instrumentistes, son goût pour le contrepoint le poussant à agencer trois parties aussi difficiles les unes que les autres, qu’il développe au milieu du Scherzino en lieu et place de l’habituel section contrastante. Après un très bel Adagio espressivo visiblement nourri par la lecture des quatuors de Beethoven, Taneiev conclut par un finale sautillant à refrain. Le compositeur enrichit ce rondo de sections de développement qui visitent des tonalités particulièrement éloignées – énième démonstration stylistique d’un maître au sommet de sa forme.
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FRANZ SCHUBERT
Impromptu op. 90 n° 2 D. 899 en mi bémol majeur
Les impromptus schubertiens offrent un condensé de l’art du compositeur et l’op. 90 n° 2 n’échappe pas à la règle : on y retrouve le changement d’éclairage soudain entre mode majeur (pour le thème initial insouciant) et mineur (pour la partie centrale, nettement plus tendue). Ce contraste typique de Schubert est rehaussé par la variété du jeu pianistique, qui passe du mouvement perpétuel à de grands accords tempétueux… et réciproquement.
ROBERT SCHUMANN
Quatuor pour piano et cordes en mi bémol majeur (op. 47)
Trop souvent éclipsé par le Quintette pour piano et cordes composé dans la même tonalité quelques semaines plus tôt, le Quatuor pour piano et cordes de Robert Schumann mérite pourtant autant d’attention que son prestigieux aîné. Achevé en novembre 1842, il est créé quelques jours plus tard avec Felix Mendelssohn au piano. On trouve d’ailleurs dans cette oeuvre une écriture digne du compositeur du Songe d’une nuit d’été : le deuxième mouvement est un scherzo bref au staccato féérique, dans un style typiquement mendelssohnien. Deux trios s’efforcent d’adoucir ce caractère pétillant par des élans lyriques mais rien n’y fait : deux pizzicati malicieux viennent conclure cette page spirituelle.
Le troisième mouvement met en valeur toute l’expressivité legato des archets, dans un poignant Lied sans paroles que Mendelssohn n’aurait pas renié. Varié, exposé aux différents instruments, le thème principal cède la place à un épisode central contemplatif. La coda comporte une singularité notable, toujours surprenante pour un spectateur non averti : le violoncelliste doit désaccorder sa corde grave pour l’abaisser jusqu’à un si bémol inhabituel.
Aux deux extrémités de l’oeuvre, le langage musical évoque d’autres héritages : dans le premier mouvement, la clarté et la symétrie du discours inscrivent le quatuor dans la lignée de Mozart. La chaleur du thème lyrique, la solidité du motif scandé qui lui répond, la densité du tissu polyphonique nous introduisent cependant sans tarder dans l’univers schumannien. Une partie centrale tumultueuse met à mal les thèmes exposés mais ils réapparaissent comme sublimés par les épreuves endurées. Le mouvement s’achève dans une coda animée.
Le finale propose un parcours semblable : ouvert dans le classicisme d’une fugue, il se poursuit avec un chant romantique entonné par le violoncelle. La texture intense du fugato devient bientôt inextricable, des développements virtuoses surgissent en tous sens jusqu’à l’apothéose finale.