5 mai 2023
Les interprètes : Perceval Gilles, David Petrlik, Lise Berthaud, Adrien Bellom, Yann Dubost, Nina Pollet, Philibert Perrine, Joë Christophe, Manuel Escauriaza Martinez-Peñuela, Marceau Lefèvre, Gaspard Thomas
ANTONÍN DVOŘÁK
Terzetto pour deux violons et alto en ut majeur op. 74
Voici une œuvre guidée par le seul désir de faire de la musique ensemble : si Antonín Dvořák compose en 1887 un étonnant Terzetto pour deux violons et un alto, c’est simplement pour pouvoir jouer de l’alto avec deux voisins violonistes qu’il a entendu travailler dans son immeuble pragois. Le compositeur concocte alors rapidement une succession de courtes pièces divertissantes.
Une chaleureuse introduction met en valeur l’expressivité des trois instruments à cordes dans un thème chantant, auquel répondent des traits de doubles croches sautillantes. La conclusion en suspens mène à un Larghetto d’une grande douceur, caractérisé par le portamento caressant des archets. Quelques figures pointées viennent pimenter ce deuxième mouvement en son centre, comme un avant-goût du scherzo qui suit.
On perçoit dans celui-ci le plaisir manifeste que Dvořák a pris dans l’élaboration de son œuvre. Thème en fanfare en doubles cordes, pizzicati à contretemps, jeu grinçant sur le chevalet : tous les moyens sont bons pour plaisanter entre musiciens ! Le compositeur n’oublie pas d’insérer un trio contrastant, doux et chantant, entre les deux occurrences du scherzo. Le Terzetto s’achève avec une succession de variations sur un thème original. Un parfum de folklore jaillit de l’exposition lente, au style déclamé et orné de trilles. En deux séries séparées par un retour au calme initial, les variations se succèdent ensuite à un rythme infernal jusqu’à la spectaculaire cadence finale.
BOHUSLAV MARTINŮ
Nonette pour quintette à vent, violon, alto, violoncelle et contrebasse n° 2 H. 374
Le 1er mars 1959, Bohuslav Martinů met un terme à l’une de ses plus belles œuvres de musique de chambre : un nonette, écrit pour le 35e anniversaire du České noneto (Nonette tchèque), fameux ensemble pragois à l’origine d’une quantité de créations depuis sa fondation. En trois mouvements relativement brefs, deux pages vives encadrant un Andante profond, le compositeur offre une impressionnante synthèse de son art : mécanique rythmique subtile alla Stravinsky, appels de cors qu’on croirait venus du Nouveau Monde (où Martinů passa plus de dix ans de sa vie), motifs issus du folklore tchèque… N’oublions pas, par endroits, un étonnant retour aux sources du style classique : au cœur du mouvement central, le chant nostalgique de la flûte accompagnée des volutes de la clarinette semble ainsi nous plonger dans un opéra mozartien. Ce regard vers les maîtres du passé est d’autant plus touchant que Martinů savait, en composant son ouvrage, qu’il ne tarderait pas à les rejoindre ; diagnostiqué d’un cancer de l’estomac, il décèdera quelques mois plus tard, le 28 août, à l’hôpital de Liestal en Suisse.
ANTONÍN DVOŘÁK
Quintette pour cordes et piano n° 2 en la majeur op. 81
Si les premiers grands quintettes pour piano et cordes (celui de Robert Schumann en tête) tendaient à faire de cette formation un véritable concerto de chambre pour clavier, l’équilibre du Quintette opus 81 composé en 1887 par Antonín Dvořák est complètement différent : le compositeur tchèque fait généreusement chanter les archets, dans une veine typiquement slave. Entonné par le violoncelle, un premier thème aux allures de romance ouvre l’Allegro ma non troppo, ponctué du bout des doigts par un piano aux allures de harpe. L’écriture en simple mélodie accompagnée est interrompue brutalement par un tutti carré. Cette rupture expressive restera le ressort d’un mouvement oscillant entre lyrisme expansif et vivacité orchestrale, les appuis fortement prononcés de l’ensemble évoquant volontiers une danse paysanne.
Mis en lumière par les premières démarches ethnomusicologiques qui se développent pendant la deuxième moitié du xixe siècle, le folklore d’Europe de l’Est inspire plus explicitement Dvořák dans les deux mouvements suivants, qui consistent en une dumka et un furiant. La première apporte ses contrastes si particuliers, alternant sections mélancoliques et pages légères. Tandis que l’alto lance un chant rauque d’allure ancestrale, le piano frappe un arpège vif qui évoque les cordes pincées de la bandoura. À deux reprises, le quintette au grand complet répond en entonnant une danse chaloupée ; au centre du mouvement, un Vivace sautillant marque une rupture plus franche encore. Mais cela ne suffit pas à altérer le caractère nostalgique du refrain entêtant.
Dvořák inverse le rapport de force dans le troisième mouvement : c’est cette fois-ci l’allure endiablée du furiant, cette danse populaire tchèque très vive, qui marque les esprits – on admirera cependant le choral d’un calme miraculeux que le compositeur parvient à tisser au cœur du mouvement. Le finale s’ouvre comme un bal : une introduction invite à la danse et le quintette s’engage dans une polka rustique. Le rythme enlevé des pas se fait omniprésent mais Dvořák n’abandonne pas pour autant la forme subtile de son discours, déployant un parcours harmonique riche et réservant des développements parfois inattendus. Une étonnante prière en choral survient ainsi brièvement à la fin de l’ouvrage, comme pour mieux s’élancer vers le feu d’artifice conclusif.