6 mai 2023
Les interprètes : Pierre Fouchenneret, Vassily Chmykov, Lise Berthaud, Caroline Sypniewski, Yann Dubost, Nina Pollet, Philibert Perrine, Amaury Viduvier, Manuel Escauriaza Martinez-Peñuela, Marceau Lefèvre, Ismaël Margain
WOLFGANG AMADEUS MOZART
Adagio et rondo pour piano, flûte, hautbois, alto et violoncelle en ut mineur, K. 617
C’est initialement pour le glassharmonica, ou harmonica de verre, que Wolfgang Amadeus Mozart écrivit deux pièces en mai 1791, destinées à une lointaine cousine, Marianne Kirchgessner. Cet instrument singulier, auquel on associa tantôt la capacité à incarner la « voix céleste » (Niccolò Paganini) tantôt au contraire le risque de causer des spasmes, suscitait la fascination des musiciens depuis que Benjamin Franklin avait perfectionné l’instrument dans les années 1760. Mozart lui destina donc un Adagio et rondo épuré, plus lyrique que virtuose, et tint lui-même la partie d’alto lors de la création de l’ouvrage, le 19 août 1791 – sans se douter qu’il s’agissait là de sa dernière œuvre de musique de chambre.
Quintette pour piano et vents en mi bémol majeur K. 452
« Je le considère moi-même comme la meilleure chose que j’aie jamais écrite. – Je souhaiterais que vous l’ayez entendu ! – et il a été si joliment interprété ! ». Ainsi s’exclame Wolfgang Amadeus dans une lettre à son père Leopold, peu après la création de son Quintette pour piano et vents K. 452 au Burgtheater de Vienne, le 1er avril 1784. Écrire pour une formation aussi originale, constituée de timbres hétéroclites individualisés et non assemblés par paires, était pourtant une sacrée gageure… Mais Mozart, au sommet de son art dans une année heureuse qui le voit multiplier les concertos pour piano, parvient à trouver l’équilibre si délicat entre concerto et musique de chambre, entre la nécessité de mettre en valeur les spécificités de chaque instrument et la fusion du collectif. Reprenant la forme en trois mouvements vif-lent-vif propre aux concertos, il y ajoute une longue introduction lente d’esprit orchestral. Au centre de l’œuvre, le superbe Larghetto constitue le sommet de l’ouvrage : d’apparence très opératique, il regorge d’idées qui permettent à chaque instrument de se mettre en évidence, et sa partie centrale aventureuse renferme sous des traits élégants les plus belles audaces. Le Rondo final ne manque pas non plus d’originalité, Mozart y insérant une cadence collective d’apparence improvisée avant de conclure avec détermination.
FRANZ SCHUBERT
Octuor pour cordes et vents en fa majeur D. 803
En février 1824, le comte Ferdinand Troyer, excellent clarinettiste amateur, passe une commande un peu particulière à Franz Schubert : cet intendant en chef de l’archiduc Rodolphe d’Autriche demande un octuor inspiré du Septuor op. 20 de Ludwig van Beethoven, œuvre extrêmement populaire depuis sa création en 1800. Schubert accepte, avec l’idée que cet ouvrage peut le préparer à la grande symphonie à
laquelle il songe alors – de fait, la Symphonie no 9 en ut majeur emboîtera le pas de l’Octuor dès l’année suivante. Fidèle à la commande qui lui est faite, le compositeur s’appuie sur l’instrumentation beethovénienne (ajoutant simplement un second violon) et reprend l’architecture de l’ouvrage en six longs mouvements. Beethoven s’était en effet écarté de l’habituelle forme des œuvres de musique de chambre en quatre mouvements, doublant les intermèdes (deux mouvements lents au lieu d’un ; un menuet et un scherzo et non l’un ou l’autre) pour rejoindre la logique formelle des divertissements et autres sérénades.
Si, dans ce même esprit, Beethoven avait privilégié dans son Septuor un ton mélodieux et un langage fluide à d’éventuelles innovations, l’auteur de l’Octuor se permet d’aller un peu plus loin que son aîné : Schubert bâtit dès l’introduction lente un édifice complexe, à la luminosité harmonique changeante, qui amène très progressivement le motif principal de l’Allegro à venir – un rythme pointé qui reviendra régulièrement dans toute l’œuvre. Dans la partie vive du premier mouvement, Schubert opte ensuite pour une forme relativement traditionnelle qui repose sur deux idées fortes : un thème volontaire qui sonne la charge dès les premières notes de l’Allegro, et un chant balancé de la clarinette qui oscille d’une octave à l’autre un peu plus loin. Ce principe simple ne masque cependant pas les subtilités que Schubert sème dans son récit, tel le vertigineux changement de ton au début des péripéties centrales ou l’inattendu rappel de l’introduction avant le retour du premier thème.
Alors que le deuxième mouvement consiste essentiellement en une splendide rêverie de clarinette que le comte Troyer dut apprécier, l’autre mouvement lent de l’œuvre (le quatrième) suit une forme en variations. Comme souvent chez Schubert, le compositeur reprend ici une mélodie qu’il avait écrite pour une œuvre antérieure, l’opéra Les Amis de Salamanque ; violon et clarinette entonnent ensemble le duo d’amour « Gelagert unterm hellen Dach » (Sous un toit lumineux). Les variations qui s’ensuivent ont pour principal objet de solliciter la virtuosité de chaque membre de l’octuor, Schubert aménageant une fin originale, très théâtrale, les instruments semblant quitter la scène sur la pointe des pieds. En alternance avec ces intermèdes lents, le compositeur place un scherzo très beethovénien qui martèle avec force le rythme pointé (3e mouvement) et un menuet plus rêveur que réellement dansant (5e mouvement). Schubert conclut comme le faisait Beethoven dans son Septuor, en faisant précéder le finale d’une introduction lente ; mais, cette fois encore, le compositeur de l’Octuor se montre plus audacieux, écrivant ici une page sauvage, dont l’extrême noirceur ne fait que mieux ressortir l’atmosphère de fête spectaculaire qui marque la fin de l’ouvrage.