10 août 2019
Les interprètes : L' Atelier de musique, Alexandra Soumm, Shuichi Okada, Manuel Vioque-Judde, Mathis Rochat, Bumjun Kim, Adrien Bellom, Ismaël Margain, Guillaume Bellom
RICHARD STRAUSS (1864-1949)
Sextuor de Capriccio opus 85 (1942)
Écho tardif aux œuvres de Johannes Brahms et à La Nuit transfigurée d’Arnold Schönberg, le sextuor de Capriccio marque le retour inattendu de Richard Strauss dans le domaine de la musique de chambre – genre dont il s’était écarté voilà un demi-siècle – au sein même de son dernier opéra. Cette page d’une douzaine de minutes introduit les débats dont il sera question dans Capriccio : la musique prime-t-elle sur les paroles ou est-ce l’inverse ? Le cœur de la comtesse Madeleine balance entre ces deux partis – et entre ceux qui les défendent (le compositeur Flamand et le poète Olivier). Il est en tout cas difficile de rester insensible à cette éblouissante page de musique pure, qui allie richesse du contrepoint et clarté des lignes mélodiques autour d’un insistant motif en croix.
FRANZ LISZT
Années de pèlerinage pour piano : Troisième année (S 163) (1877)
Jeux d’eaux à la villa d’Este
Admirable miniature pianistique, Au lac de Wallenstadt avait déjà introduit l’élément aquatique dans la première des Années de pèlerinage (cf. concert du 3 août). Mais les Jeux d’eaux à la villa d’Este portent le discours à un tout autre degré d’aboutissement. Dans ce chef-d’œuvre pré-debussyste, c’est toute la vitalité de l’eau qui anime le clavier, depuis les arpèges délicats du registre aigu aux bouillonnements des trémolos dans le grave. Il ne faut cependant pas considérer ces Jeux d’eaux comme une musique simplement imitative ; Franz Liszt prend le prétexte des fontaines de la villa d’Este pour explorer des timbres inouïs en suivant une totale liberté formelle. Au milieu de la pièce, la modulation charnière est accompagnée d’une citation biblique qui montre bien que l’eau n’est qu’un médium pour Liszt : « Celui qui boira de cette eau ne sera jamais plus altéré, car l’eau que je lui donne ainsi sera pour lui source de vie éternelle. » (Jean, 4, 14)
FRANZ SCHUBERT
Fantaisie pour piano à quatre mains en fa mineur D. 940
En janvier 1828, Franz Schubert esquisse une nouvelle Fantaisie pour piano à quatre mains. S’il est toujours resté proche de ce concept formel – avec la Wanderer-Fantaisie ou la Fantaisie pour violon et piano notamment –, cela fait quinze ans qu’il ne l’a pas associé au piano à quatre mains. Ce retour fantaisiste au duo sur clavier est peut-être dû à la proximité nouvelle du compositeur avec son élève pianiste Caroline Esterházy.En un seul tenant, l’œuvre fait entendre une succession d’épisodes nettement délimités qui rappellent une architecture de sonate en quatre mouvements : l’Allegro molto moderato s’ouvre sur un de ces thèmes mélancoliques au rythme pointé cher à Schubert. Après une puissante modulation, un Largo aux trilles imposants fait office de mouvement lent. Le rythme pointé reste le moteur majeur du discours, depuis les premiers accords autoritaires jusqu’au contour des lignes adoucies qui s’ensuivent.Après un Allegro vivace sautillant comme un scherzo – parenté renforcée par la mesure tournoyante et la clarté de la forme à reprises –, le retour de l’Allegro molto moderato fait office de finale et de récapitulation. Cependant Schubert ne se contente pas de reprendre des éléments précédemment énoncés et de résoudre leurs oppositions ; il insère au contraire un épisode fugué qui surprend par son ampleur et la tension qu’il accumule. Le retour expéditif du thème principal n’en est que plus bouleversant, laissant l’auditeur comme face à un mystère irrésolu.
JOHANNES BRAHMS
Sextuor à cordes n°2 en sol majeur opus 36
Allegro non troppo
Scherzo. Allegro non troppo – Presto giocoso
Poco Adagio
Poco Allegro
Le premier grand succès de Johannes Brahms fut un sextuor à cordes auquel le violoniste Joseph Joachim, pourtant réputé pour son esprit critique, ne trouva rien à redire. Se délectant de ce quatuor élargi et renforcé dans son registre grave, le compositeur se révèle un maître des textures dans un équilibre changeant, ni vraiment chambriste, ni vraiment orchestral. Quatre ans plus tard, en 1864, Brahms récidive, écrivant un Sextuor n° 2 aux allures d’exutoire : l’œuvre contient les derniers échos de sa passion amoureuse pour Agathe von Siebold, notamment dans le premier mouvement. Au-dessus d’une oscillation persistante, un thème rêveur précède une sorte de ronde joyeuse, initiée par le violoncelle dans son registre aigu. Après une ascension irrésistible, le premier violon martèle cinq notes significatives : la-sol-la-si-mi ! Autrement dit, dans la notation germanique : A-G-A-(T)H-E !Le deuxième mouvement est un scherzo original ; si la légèreté lumineuse de l’ensemble rappelle dans un premier temps les fééries d’un Mendelssohn, le balancement binaire régulier, le tempo posé et l’expressivité lyrique des archets donnent un caractère singulier à l’ouvrage. N’aura-t-on donc pas droit à une danse frénétique ? Si ! C’est le Presto giocoso, au cœur du mouvement, qui remet le scherzo dans le droit chemin du genre.L’Adagio qui suit est une page typiquement brahmsienne. Son thème lent et ses variations s’éloignent des canons de l’exercice : la mélodie de départ, étroitement liée au thème d’ouverture du sextuor par ses élans ascendants, est présentée étirée, déjà ornée, plaçant peu de repères pour l’auditeur. La continuité du discours, la liberté des variations qui suivent, l’ajout de transitions apportent au mouvement une fluidité remarquable.
Entamé dans un sautillé léger qui semble imiter les scherzos mendelssohniens, le Poco Allegro conclusif acquiert bien vite sa pâte brahmsienne. Le travail rythmique et l’épaisseur du contrepoint donnent une solidité compacte à l’ensemble ; le sextuor s’évade pour finir dans un Animato taillé comme un mouvement perpétuel.