25 avril 2015
Les interprètes : Alexandra Soumm, Adrien Boisseau, Victor Julien-Laferrière, Adam Laloum, Trio Les Esprits
Une soirée du 25 avril 2015 construite autour d’Adam Laloum et de son trio Les Esprits. Une petite infidélité pour commencer toutefois avec le Quartettsatz de Mahler, un mouvement de isolé d’un quatuor avec piano qui ne verra pas le jour où Alexandra Soumm prend provisoirement la place de Mi-Sa Yang au violon. Victor Julien-Laferrière complète naturellement la distribution en compagnie d’Adrien Boisseau, mais on retrouvera la jeune violoniste d’origine sud-coréenne pour la suite du programme avec deux trios qu’a priori tout oppose. A priori seulement, car ceux qui ne voient en Kagel qu’un amuseur cherchant les modes de jeux les plus insolites dans ses œuvres de théâtre musical risquent d’être surpris à l’écoute de son Trio avec piano n°1. En trois mouvements, l’œuvre date du début des années 1980, à une époque où le compositeur use d’un langage à la fois plus conventionnel mais aussi plus personnel. La mélancolie qui s’échappe de certaines pages n’est finalement pas sans rappeler certains moments de la musique de Schubert, à l’affiche de la seconde partie du concert avec son Trio avec piano n°1. Son mouvement lent a beau ne pas avoir servi au film Barry Lindon, l’inspiration mélodique du compositeur est ici à son plus haut niveau, et il est impossible de résister à l’élan tout viennois qui propulse l’Allegro moderato initial. Des découvertes et de fertiles rapprochements, voilà une autre facette du Festival de Pâques.
Qui dit Mahler pense (gros) orchestre. Le compositeur s’est certes fait connaître grâce à ses neuf symphonies aux effectifs souvent imposants mais il ne faut pas oublier ses merveilleux cycles de lieder qui requièrent le plus souvent un équipage plus léger. Le quatuor avec piano figure parmi ses pages les moins connues, les moins jouées, les moins enregistrées. Elle reste, il est vrai, le travail d’un apprenti compositeur de dix-sept ans, étudiant au conservatoire de Vienne. Il se réduit d’ailleurs à son premier mouvement, en la mineur, pour piano, violon, alto et violoncelle plus quelques lignes d’un scherzo (Enguerrand-Friedrich Lühl a récemment proposé une version
complète, en quatre mouvements, du quatuor). Il commence nicht zu schnell (pas trop vite) par un sombre thème énoncé par la main droite du piano sur fond de triolets de la gauche, aussitôt repris par les cordes. Lui répondra un peu plus tard un thème plus souriant, esquissé par le violon. Mais l’idée initiale, marquée par la sixte mineure ascendante et la descende d’un demi-ton (la-fa-mi) domine tout le mouvement, même si à mi-chemin l’alto propose une idée secondaire. Avant la fin, le violon entame un solo tourmenté et grave. Peut-on vraiment deviner le Mahler des symphonies à venir dans ces dix minutes de musique ? Ce n’est pas certain même si le traitement des cordes se montre plus symphonique (le violon et l’alto jouent presque tout le temps ensemble) à l’image de certaines pages de Brahms.
Réunir Kagel avec Mahler et Schubert relève de la pure logique. Le compositeur argentin déclarait en effet : « Mon métier c’est l’héritage du XIXe siècle ». Aussi son trio avec piano n°1, daté de 1985, évalue-t-il ce legs à la lumière de son temps. Alors que le compositeur argentin est surtout connu pour sa déconstruction de la grande tradition qu’il se plaît à infiltrer d’éléments exogènes (variété, théâtre), le début du trio n°1 surprend. Le violoncelle étire une longue phrase un peu neutre, que ponctue sagement le piano d’accords réguliers. Le violon intervient sans perturber cette atmosphère méditative, presque grave, malgré quelques zébrures impatientes. Le ton restera donc énigmatique. Il change radicalement dans le
deuxième mouvement, autrement plus rythmé et déterminé. Mais le moteur va vite se gripper. L’allure ralentit, le pianiste va étouffer la résonance de son
instrument en plaquant la main sur les cordes, puis la machine se remet en
route. Le mouvement s’achève fortissimo. Le violon, avec sourdine, et le piano, rejoints par les pizzicatos du violoncelle installent le troisième et dernier mouvement dans une atmosphère étrange qui rappelle le début. Rarement entendue, cette œuvre d’une demi-heure tient en permanence l’auditeur en alerte.
Comme Brahms ou Schumann, Schubert aura dû lutter pour trouver une place qui ne fût pas encombrée par l’ombre envahissante de Beethoven. Symphonie, sonates, quatuors : son aîné semblait avoir porté chaque genre à un sommet de perfection insurpassable. Le trio n’échappe pas à cette
terrifiante mainmise. Schubert saura pourtant s’en défaire et composer deux
chefs-d’œuvre qui portent indéniablement sa marque. Peut-être moins connu que son frère D 929, immortalisé par Stanley Kubrick dans son film Barry Lindon, le présent trio appartient pourtant aux merveilles que Schubert a composées dans les derniers mois de sa courte vie. Développé sur une échelle symphonique de trois quarts d’heure, il traite chacun des instruments avec une étonnante indépendance. Contemporain du cycle de lieder, Le Voyage d’hiver, il n’en partage pourtant pas la sombre gravité et le désespoir : voilà qui rappelle que l’explication de l’œuvre par la biographie a de sérieuses limites. Essentiellement détendu et souriant, ce trio ne reflète effectivement pas l’âme d’un Schubert malade et mélancolique.
Le premier mouvement, Allegro moderato, s’ouvre par un puissant unisson des deux cordes qu’accompagnent les accords du piano. A ce premier thème décidé et positif, répond un second sujet, présenté par le violoncelle. Par un solide jeu de construction, dans le développement notamment, Schubert
porte la musique de chambre à un rare degré de puissance expressive. L’Andante un poco mosso qui suit confie au violoncelle puis au violon une mélodie proche d’une berceuse. La seconde partie évolue sous un ciel plus tourmenté et plus sombre avant le retour de la première idée. Le Scherzo évoque irrésistiblement la musique populaire, le ländler autrichien, cousin rustique de la valse. La section centrale, le trio, fait la part belle au deux archets tandis que le piano plaque ses accords. Le mouvement laisse une douce impression de soirée amicale accompagnée de musique improvisée. Le rondo conclusif conserve une allure chorégraphique mais il se plaît à varier les couleurs, les rythmes et les humeurs.