Alban Berg
Entre le maître-théoricien Schoenberg et le disciple radical Webern, Alban Berg occupe une place à part dans la trinité de la seconde école de Vienne. D’une grande complexité dans son écriture contrapuntique et sa référence aux formes traditionnelles, sa musique réussit en effet également le pari d’être toujours immédiatement séductrice grâce à son lyrisme obsédant. Ce n’est donc pas un hasard si les plus grandes réalisations de Berg se rencontrent à l’opéra avec Wozzeck et Lulu, là où Schoenberg n’a jamais complètement convaincu et là où la concision webernienne ne pouvait trouver de champ propice. Ayant grandi dans l’effervescence créatrice de la Vienne du tournant du siècle, le jeune Alban Berg devient en tout cas à dix-neuf ans l’élève de Schoenberg, et trouve très rapidement sa place au sein de la communauté d’esprit en train de se monter. Passionné par la poésie, ayant longtemps caressé le rêve d’une carrière d’écrivain, Berg se tourne naturellement vers le lied, un domaine où sa sensibilité fait merveille. Sur la centaine d’essais qu’il soumet à Schoenberg, sept trouvent grâce aux yeux du maître et deviendront les Frühe Lieder. En 1908, Berg va plus loin encore avec sa Sonate pour piano, un seul mouvement de dix minutes en guise d’adieu à la sonate romantique et qui fait de cet opus 1 une promesse de renouveau. Le compositeur se révèle cependant être un créateur prudent, et son catalogue de ne s’enrichir qu’avec parcimonie. Avant la guerre, il ne livre donc une poignée d’œuvres tout aussi décisives les unes que les autres, comme le Quatuor opus 3, les Altenberglieder et surtout les Trois pièces pour orchestre, symphonie déguisée où le musicien fait la preuve de sa maîtrise de la grande forme. Berg est désormais prêt pour l’opéra, et ce sera en 1925 le choc de Wozzeck, créé par Erich Kleiber au Staatsoper de Berlin après la bagatelle de 137 répétitions. Choc à l’opéra, mais choc aussi dans la vie personnelle de Berg, avec la rencontre d’Hanna Fuchs, femme mariée, amour impossible. En secret de son épouse Hélène, Berg commence une correspondance avec la belle et compose en pensant à elle la bien-nommée Suite lyrique, une œuvre où le musicien s’approprie de façon toute personnelle les principes dodécaphoniques, et qui prolonge le travail réalisé dans le Concerto de chambre, hymne à l’amitié entre Schoenberg, Webern et lui. Les dernières années de la vie de Berg seront ensuite consacrées principalement au travail sur Lulu, deuxième opéra qui devait rester inachevé, mais une œuvre tout aussi décisive pour le genre que son grand-frère Wozzeck. Comme une respiration, Berg livre encore Der Wein en 1929, un air de concert d’après Les Fleurs du mal de Baudelaire, et surtout en 1935 le Concerto pour violon « A la mémoire d’un ange », dédiée à Manon Gropius, la fille d’Alma Mahler morte à quinze ans. Ecrit en quelques mois seulement, ce requiem pour Manon sera hélas le propre tombeau de Berg, ce dernier s’éteignant d’une affection sanguine avant même la création de son œuvre en avril 1936.