Igor Stravinsky
Le Picasso de la musique ! En ayant su toujours se remettre en question, Igor Stravinsky a traversé le vingtième siècle en pionnier, quitte à ce que ces changements de style fassent de ses partisans d’un jour ses détracteurs du lendemain. Sa destinée musicale a cependant mis du temps à se dessiner. Fils d’un chanteur du théâtre Mariinski de Saint-Pétersbourg, Stravinsky ne montre en effet dans sa jeunesse pas de prédispositions particulières pour la musique et suit un temps à un parcours de droit à l’université. Le tournant survient en 1902 : coup sur coup, le décès de son père semble enfin le libérer, et la rencontre avec Rimski-Korsakov va affermir la détermination du jeune homme à devenir musicien. Il commence à suivre en privé des cours avec le maître l’année suivante et hérite de ses secrets d’orchestrateur. A la mort de Rimski en 1908, Stravinsky est maintenant un musicien complet, et ses premières œuvres sont prometteuses. Le 6 février 1909 sont ainsi créés avec succès lors d’un concert dirigé par Siloti le Scherzo fantastique et Feu d’artifice. Dans la salle, Serge de Diaghilev, impresario des Ballets russes, est présent et sent tout le potentiel chorégraphique que la musique colorée de Stravinsky porte en elle. C’est le début d’une collaboration fructueuse qui verra la naissante entre 1910 et 1913 à Paris de la trilogie fantastique : L’Oiseau de feu, Petrouchka et Le Sacre du Printemps. Le scandale assourdissant du Sacre au Théâtre des Champs-Elysées enterre tout ce qui avait pu être fait auparavant, et fait de Stravinsky, à trente ans et un peu malgré lui, le chef de file de la modernité en musique. Il achève alors son opéra Le Rossignol, commencé en 1909 et donc avant la révolution opérée avec les Ballets Russes, fait un aller-retour en Russie (il ne reverra pas sa terre natale avant 40 ans), rapportant dans ses bagages quelques recueils de chants populaires, et s’installe en Suisse alors que la Première Guerre mondiale bat son plein. Il compose alors Les Noces et L’Histoire du Soldat, une dernière œuvre où l’on pressent déjà le tournant esthétique à venir. Ce sera la période dite néoclassique des années 1920 et qui commence avec Pulcinella, un ballet reprenant des thèmes de Pergolèse et d’autres compositeurs baroques italiens. Faut-il y voir un retour en arrière après les audaces du Sacre ? Stravinsky pense plutôt que cette réappropriation de la tradition est stimulante, et c’est ainsi qu’il faut entendre Le Baiser de la fée, un nouveau ballet d’après Tchaïkovski, ou Jeu de cartes, où les citations abondent. Le musicien continue toutefois à livrer des œuvres profondément originales, telle la trilogie austère composée à Nice entre 1928 et 1930 et regroupant Oedipus Rex, Apollon Musagète et la Symphonie de Psaumes. Toujours aussi agile, Stravinsky est capable de rendre un jour hommage au concerto grosso dans le Dumarton Oaks Concerto (1938), et quelques années plus tard de s’amuser avec le jazz dans l’Ebony Concerto (1946). Entre ces deux œuvres, Stravinsky s’est réfugié aux Etats-Unis et vit à distance la tragédie qui se joue en Europe. Après son irrésistible opéra The Rake’s Progress, il surprend une nouvelle fois son monde en adoptant en partie le langage dodécaphonique : ce seront ainsi successivement la Cantate sur des textes élisabéthains en 1952, le Septuor en 1953, Agon en 1957. Dans ses dernières années, l’inspiration religieuse prend une part de plus en plus importante chez le musicien, en témoignent Canticum Sacrum, Threni, Abraham et Isaac ou Requiem Canticles. Ayant eu la chance, soit de diriger, soit de superviser l’enregistrement de son œuvre durant les décennies 1950 et 1960, Stravinsky s’éteint à quatre-vingt-huit ans et est enterré selon sa volonté à Venise.