Valses joyeuses et danses macabres
Au milieu d’une pièce classique de musique de chambre, au cœur d’un concerto moderne, la danse s’invite partout, légère ou pesante, pétillante ou grave. On la reconnaît parfois facilement : l’élégant menuet du Quintette avec clarinette de Wolfgang Amadeus Mozart, avec ses phrases régulières et ses reprises, sonne comme une invitation à esquisser quelques pas en galante compagnie. Plus entraînante encore, la Valse pour piano à six mains de
Sergueï Rachmaninov donne l’illusion de tournoyer au milieu des trois
pianistes. Savourons ce « plaisir délicieux et toujours nouveau d’une occupation inutile » ! Ces mots, empruntés à Henri de Régnier, sont écrits par Maurice Ravel en exergue à ses Valses nobles et sentimentales. Le
compositeur célèbre la « joie de vivre » dans cette série de pièces qui seront ultérieurement le support d’un ballet.
Dans un tout autre style, les Sept danses populaires roumaines de Béla Bartók ont un parfum rustique : les archets craquent comme des vielles à roue d’un autre âge, les pizzicati claquent comme les mailloches d’un cymbalum, les sabots s’entrechoquent contre la terre sèche. Les rythmes sont également arides chez Igor Stravinsky : dans le tango, la valse et le ragtime de L’Histoire du soldat, les corps semblent contrôlés par un esprit malfaisant… C’est d’ailleurs le diable qui triomphe finalement, dans une chorégraphie virtuose.
Célébration de la vie, la danse peut basculer du côté obscur : dans le Quadruple concerto d’Olivier Greif, ce sont les morts qui se réveillent et entament un inquiétant ballet. On entend au loin un Dies Irae peu engageant. Dans une pièce écrite à la mémoire de Greif, Philippe Hersant écrit également une « Totentanz », danse des morts où les ricanements de la clarinette sont aussi effrayants que les graves du piano. L’épisode infernal s’éloigne heureusement ; il ne restera de l’agitation macabre qu’un souvenir triste mais apaisé (« Andenken »).
C’est une atmosphère de lendemain de fête que nous propose la lente passacaille du Trio pour violon, violoncelle et piano de Maurice Ravel. Le ballet apparaît dans les brumes de la mémoire, les corps sont engourdis, la danse n’est plus qu’une évasion de l’esprit. Dans ses Danseuses de Delphes,
Claude Debussy compose aussi une musique étrangement statique, qui semble parfois figée dans l’ivoire du piano.
Mais qui sont ces ballerines grecques ? Des statues antiques, accrochées à
la colonne d’un temple. Le compositeur les anime alors d’un mouvement parfois imperceptible… mais suffisant pour relancer l’éternelle ronde des notes et des corps.
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